Je suis enfant d’une génération pleine de beaux souvenirs, comprenant ceux d’un Dredd matérialisé en un Stallone chaussé d’étranges lentilles de contact bleues métallisées. Un film rigolo, gonflé aux voitures volantes, aux motos ronflantes, aux gros robots et aux répliques hilarantes. Un film des années 90, décennie trop douce, aseptisée dans l’image comme dans le ton, qui n’était, à la réflexion, peut être pas la meilleure hôte pour recevoir une adaptation du plus implacable, laconique et maxillairement développé des juges.
Découvrir Dredd après ce film fut un travail. Engager une lecture scrupuleuse pour nourrir un intérêt intrigué que quelques comics promotionnels de bureau de tabac avaient à l’époque brutalement amorcé n’était pas la plus aisée des tâches, tant le personnage cinématographique, étrangement attifé, semblait tout mettre en oeuvre pour transformer un représentant de l’ordre en clown bourrin strictement dénué d’une quelconque réflexion.
Mais on parle ici d’un comics qui s’offre au gars de mon espèce comme la promesse d’un lot tout compris des plus grands plaisirs de l’imaginaire. Avec son monde désolé, ses torrents de poussière, ses cyborgs déments, ses figures mystiques, ses créatures en pagaille perdus dans les étages multiples de villes grouillantes, l’oeuvre de John Wagner et Carlos Ezquerra est un cadeau, enfermant dans un emballage décalé et fascinant le fumet d’une réelle profondeur. Il y a ces mutants partout, ces sagouins infréquentables qui parcourent les bas-fonds, ceux qui ont des écailles, ceux qui ont des tatouages animés, ceux qui vivent à deux dans le même corps. Il y a les Méga-Cité, enclos urbains où s’entasse toute la chienlit de l’humanité, restes dégénérés de l’ère atomique. Il y a l’horreur et le vice. Le sable qui tanne les peaux et les radiations qui modèlent les corps. Et il y a les juges, implacables, surpuissants et caricaturaux, nés de la désolation et de la corruption, ils sont le concentré d’ultra-violence qui se dresse face à la chute libre d’un monde gangrené et particulièrement agressif. Portant le casque comme leur reine mère porte le bandeau, à la fois juges, jurés et bourreaux, ils pratiquent une justice expéditive et sanguinaire jusqu’aux confins des entrailles citadines.
Jamais complètement sérieux, jamais complètement dans la farce, Judge Dredd est un anti-héros grinçant, érigeant une étrange apologie de la violence en symbole d’une triste condition où humains se parquent les uns contre les autres pour survivre au milieu d’étendues arides et vénéneuses. Et Dredd, caressant le bout d’un menton volé à la famille Dalton, se permet alors quelques embryons de réflexion entre deux combats contre un robot de singe géant ou un mutant dinosaure, pris entre son code et les germes de sentiments, mis en difficulté dans ses principes et ébranlant le sens de son impitoyable déontologie.
Judge Dredd : Origines va donc vous raconter qui est Dredd, ce qu’il est, d’où il vient, d’où vient son “père” (ou modèle), ce qui a causé le relooking du continent américain, ce qui a enfanté cette nouvelle justice et ces nouveaux représentant d’une loi en armure. C’est un comics tout à fait recommandable, une excellente bd post-apocalyptique qui mêle une véritable intrigue politique, certes classique mais prenante dans ce contexte aussi charmant que nauséabond, à un délicieux western en territoires nucléaires où les cavaliers de l’apocalypse escortent une précieuse diligence de billets verts. C’est une quête passionnante sur les traces d’Eustace Fargo, le premier juge, à la fois père et partie de Dredd. Et c’est aussi une bd particulièrement bavarde pour de l’aventure irradiée, il faut l’préciser, mais pour qui accroche à cet univers, c’est particulièrement indispensable. Reste comme dernière épreuve les dessins, pour lesquels j’ai l’affection d’un fan qui trouve ici tout le charme du trait pulp, rapide et dynamique, mais qui sont parfois très approximatifs, effet renforcé par une colorisation numérique tout à fait dégueulasse par moments. Terminons tout d’même par louer la première histoire faisant office d’introduction et dessinée par Kevin Walker, pratiquant un trait sec et une colorisation métallique parfaitement appropriée ici.
Dans le cas (probable) où vous ne connaîtriez pas vraiment Judge Dredd et que lire des comics, “olala mais j’en ai plein d’autres à finir avant”, découvrez le donc avec Stallone pour rire affectueusement (et merde, Sly c’était pourtant un bon choix) ou avec Karl Urban pour vraiment mettre un premier pas dans cet univers foisonnant, mais n’oubliez pas que RoboCop reste la meilleure adaptation ciné du Juge des Méga-Cités.