A la fin des années 1990, ou peut-être au début des années 2000, mon père emprunte quelques tomes d’Odilon Verjus (la série est alors en cours) à la médiathèque du coin (celle charmante de Langres), et je jette un œil amusé dessus, du haut de mon enfance.
Aujourd’hui, j’ai le même âge que mon père quand il l’a emprunté, et je redécouvre les albums, là aussi empruntés à la médiathèque la plus proche, mais pas la même (celle charmante de Thonon-les-Bains).
Il y a probablement d’autres œuvres bien plus audacieuses, plus intelligentes, à découvrir dans le vaste réseau des médiathèques de France et j’en ai parfois fait le retour ici. (Ô grandes et petites bibliothèques mais toujours vaillantes, je vous salue, merci pour ma culture.) Mais cette série offre un divertissement très sympathique. Elle est placée sous le signe de l’aventure, avec un humour très taquin, à la bonne humeur contagieuse.
Odilon Verjus est ainsi ce missionnaire, homme de Dieu et de ses ouailles, les Papous, malgré les directives du Vatican qui l’envoie à gauche et à droite parcourir le monde au nom de telle mission dans ce monde des années 1930 parcouru de tensions. Odilon est loin d’être un cul-bénit, il est une force de la nature, au fort caractère, bienveillant mais qui ne tendra pas la joue gauche si on lui cherche des noises. Il peut être bourru, de mauvaise foi, mais son esprit malin et un peu d’huile de coude le sauve de bien des occasions.
Il est accompagné de Laurent de Boismenu, jeune novice, qui offre un contrepoint intéressant, un œil plus innocent mais pas angélique sur le monde et sur la compagnie d’Odilon, qui attire à lui bien des personnalités, dont la fofolle et dévastatrice Joséphine Baker dans quelques aventures. Si le duo fonctionne, la présence de Laurent est de plus en plus réduite au fur et à mesure des albums, n’arrivant pas à s’imposer face au missionnaire barbu et joufflu.
La série de Yann évolue. Et quelques incursions dans des contrées exotiques comme le premier tome, Papous, et le troisième, Eskimo, sont les plus faibles de la série. Le ton et les personnages n’en sont que plus drôles quand ils sont confrontés de plein fouet au monde agité de ces années 1930, des politiques grotesques notamment du nazisme (« Adolf », « Folies Zeppelin ») aux stars de divertissement (« Vade retro Hollywood », avec tout le gratin de l’époque, dont des Marx Brothers en roues libres). Des personnalités parfois réelles, reprises avec toute la verve de Yann, jamais avare de dialogues truculents, à l’image de Joséphine Baker, arrivée dans la série dans le tome Adolf et revenue pour deux autres albums, où elle fait à chaque fois des étincelles.
Laurent Verron est aux crayons, pour une série qui aura duré 7 albums entre 1996 et 2006, réeditée en deux intégrales en 2020 et 2021 (et peut-être disponibles dans votre bibliothèque ?). Le trait est proche de l’école franco-belge, plus du côté de Spirou que de Tintin, avec des contours grattés, plus incisifs, qui vont bien avec le ton parfois mordant des scénarios et des dialogues. L’ensemble est assez vivant, jamais trop statique, et tout à fait efficace sous une telle forme. A la même époque Verron allait reprendre Boule et Bill pour une dizaine d’années, reprenant le style de Roba pour effacer le sien, quel dommage.
Dans ses meilleures albums, la série offre ainsi des aventures rythmées mais décalées, toujours avec la folie douce de ses personnages ou le regard taquin sur les problèmes du monde. Odilon Verjus en impose, et s’il ne fait pas partie des poids lourds de la bande dessinée franco-belge, ses péripéties offrent de bons moments de lecture et de francs sourires face aux soubresauts de la décennie de 1930 telle que vue par Yann et Verron.