Pinkerton: Relationship vs. Music

Pinkerton ou Comment j'ai appris à ne pas m'en faire avec la musique pop est une BD indépendante philosophico-cathartique made in Montréal traitant d'un règlement de comptes générationnel très drôle entre deux individus en peine d'amour et les disques qui les ont conditionnés à être sentimentalement malheureux!


Vous aimerez Pinkerton si...
- Vous aimez lire des bandes dessinées (ça aide),
- Vous aimez (beaucoup ou/et à la folie et/ou passionnément) la musique,
- Vous vous êtes déjà fait larguer sans que ça soit consenti,
- Vous vous sentez lié à la génération des années 90 à tendance Y,
- Vous trouvez que le Québec et Montréal, c'est cool !
- Vous considérez comme culte l'album Pinkerton de Weezer (compte double).


Plus les options seront cochées, plus le degré d'appréciation sera optimal. Dans le cas contraire, il est hautement probable que vous soyez tout de même séduit par cette BD. Donc, Pinkerton est à la base un album culte de Weezer. Enfin, à la vraie base, Pinkerton est le nom d'un personnage de Madame Butterfly, l'opéra de Puccini. Mais ici, c'est la seconde base qui est importante, celle plus pop qu'opéra, parce qu'il s'agit de ça dans Pinkerton la BD, de musique pop, mais aussi comme dans l'opéra et l'album, de souffrance amoureuse. À l'exception cruciale et déterminante que les auteurs François Samson Dunlop (pour les dessins) et Alexandre Fontaine Rousseau (pour les mots) se montrent extrêmement drôles.


Le cœur du personnage principal est brisé, dès lors son dysfonctionnement va exacerber le fonctionnement de l'autre moteur dont l'homme est doté : le cerveau. S'en suit une quête soutenue par son meilleur ami, fraîchement largué lui aussi. La question, ou du moins la problématique posée par la BD et ses deux protagonistes célibataires contre leur gré : « pourquoi sommes-nous condamnés à l'échec romantique ? » Conscients que chaque relation et chaque rupture font partie d'un cheminement, les deux héros de Pinkerton cherchent une raison à leur souffrance reniant toute responsabilité personnelle. En somme, ce n'est pas de leur faute ! À qui la faute ? À la musique pop des années 90 qui a engendré le phénomène du « conditionnement romantique négatif ». Des disques glorifiant l'échec et la mélancolie ont conditionné les individus et le symbole de cette débâcle pathologique : Pinkerton de Weezer! Il s'agira donc de vaincre cet album, chanson par chanson ! Oui, un peu comme les 12 travaux d'Astérix, mais en plus émotionnellement philosophiquement musicalement existentiel.



Pinkerton, c'est un peu comme si Woody Allen (celui des débuts) avait fait un enfant avec Kevin Smith (celui des débuts) (merci de ne pas imaginer la scène de façon littérale) et avaient choisi Jean-Luc Godard pour parrainer le bambin.



Les références tant cinématographiques, littéraires ou musicales, jalonnant la BD sont comme un écho aux tourments d'une génération élevée à la culture pop. « Ça se croit cultivé, mais tout ce que ça cultive, c'est son propre malheur » dit l'un à l'autre. Pinkerton est principalement constitué de longues discussions à saveur de débat. À travers des théories incongrues comme le théorème de Casablancas, la conception du mixtape cathartique de rupture ou encore le « rituel ancestral du rebound », nous assistons à une épopée intime, une quête intellectuelle au sein de ce no relationship's land, car c'est en dehors d'une relation que l'on est à même de (trop) réfléchir sur ce qu'est une relation.


Pinkerton est en soi une idée brillante au sein de laquelle émerge une pléthore d'autres idées brillantes tant dans son écriture que dans son dessin. S'il y avait une seule chose à reprocher à la BD, c'est cette tendance à la suprématie du scénario. À l'ambition du texte érudit se doit de tenir tête la dimension visuelle, mais à qui se montrera le plus exaltant, les mots l'emportent le plus souvent sur les images, celles-ci ne devenant qu'un soutien aux premiers. Dès lors, le souffle de l'œuvre faiblit légèrement lorsque ses deux respirations ne sont plus totalement à l'unisson. Cependant, l'ingéniosité graphique parvient à dynamiser la BD sur la longueur, ne se montrant jamais à bout de souffle. Et lorsque les deux respirations sont en harmonie, le lecteur ne peut qu'être comblé.


La simplicité du trait et la complexité de la plume s'unissent pour capter l'essence d'une période malheureuse afin de créer le rire avec intelligence et sa dose de névrose. Au-delà de la dimension réflexible, les disques n'en sont pas moins dotés d'une dimension intime. Et telles des madeleines proustiennes, ils ont cette capacité à s'ancrer dans un doux souvenir passé, les rendant viscéralement dangereux. Cette sensibilité à la musique passe ainsi par le poids de la mémoire. Toutefois, il ne s'agit pas d'être un(e) mélomane obsessionnel(le) compulsif(ve) pour apprécier cette BD qui sent le vécu, celui de l'auteur, comme un peu du nôtre sans jamais tomber dans une approche naturaliste de la chose. En effet, il ne s'agit pas de vouloir retranscrire la réalité de cette phase connue de tous avec la plus grande acuité et si Pinkerton s'aventure sur des lieux communs, c'est pour mieux s'en moquer. Si la sensibilité reste présente entre les extravagances, les auteurs ne se concentrent jamais sur elle, dès lors, lorsqu'au détour d'une illustration, l'émotion apparaît, elle n'en est que plus belle et plus sincère. En cela, Pinkerton se montre particulièrement bouleversant et l'épilogue en est la plus belle représentation. En tentant de vaincre l'album de Weezer, c'est cette fille que le héros tente de surmonter, ses souvenirs et la peine qui y est liée. Aussi drôle et décalée soit-elle, la BD reste extrêmement sensible et c'est bien là toute sa beauté.



Pinkerton est une BD aussi BRILLANTE que DIVERTISSANTE grâce à son équilibre dosé entre humour, intelligence et sensibilité ! Il serait dommage de passer à côté de ce petit bijou.



Rendez-vous au festival d'Angoulême !

Templar
8
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le 25 janv. 2012

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Templar

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