Ce tome met en scène Frank Castle avant qu'il ne devienne Punisher, à l'occasion de sa première vacation au Vietnam. Il se passe donc avant les événements de Best Of - The Punisher, tome 1 : Born (2003) d'Ennis & Darick Robertson. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018, écrits par Garth Ennis, dessinés et encrés par Goran Parlov, mis en couleurs par Jordie Bellaire. Précédemment, Ennis & Parlov ont réalisé la minisérie en 12 épisodes, consacrée à Fury Max T01: d'une guerre à l'autre. Cette histoire de Frank Castle porte également le logo MAX, celui de la branche adulte de Marvel. Ce tome commence par une introduction de 2 pages écrites par Garth Ennis en mars 2018, évoquant son voyage sur le site de la Bataille de la Somme, et plus particulièrement son moment de recueillement au bord du Trou de mine de la Boisselle (Lochnagar's crater, en VO). Il évoque également sa découverte de la série La grande guerre de Charlie (1979-1985) de Pat Mills & Joe Colquhoun.
De nos jours, Michael Goodwin a réussi à réunir 4 vétérans (le radio Molland, le sergent Dryden, le médecin Capa, et un autre) qui ont fait partie de la quatrième section, celle qui fut le premier poste de commandement de Frank Castle, pendant la guerre du Vietnam. Il leur offre un verre dans un bar, pour recueillir leurs souvenirs sur cette première période de service de Castle qui en a accompli 3 au Vietnam. Goodwin se présente comme étant l'auteur du livre Valley Forge Valley Forge, relatant les événements survenus lors de la dernière période de service de Castle. Il leur explique sa motivation : il a l'impression de n'avoir écrit que la conclusion de son histoire, mais pas l'histoire en elle-même, celle de Frank Castle. Le récit commence donc début janvier 1968, alors que Castle prend son premier poste de commandement, à la tête de la quatrième section, pour tenir la position de la colline 61, située à proximité de Khe Sanh. Castle se présente à ses hommes, indique qu'il prendra le temps de les rencontrer un par un et qu'il n'a aucune expérience du combat. Il commence à faire le tour de leur installation, avec le sergent Dryden.
Le lendemain, la quatrième section doit effectuer une mission de reconnaissance au village de Chu Bai. À l'approche du village, Frank Castle détecte le comportement méfiant du sergent Dryden. Il réussit à lui faire dire ce qui le préoccupe. Contre toute attente, Castle suit les conseils issus de l'expérience de Dryden, et demande un bombardement de la zone, même si elle semble tranquille. Après coup, ils découvrent le corps de 4 tireurs d'élites Viêt-Cong embusqués. Dans le même temps, le colonel Letrong Giap accueille une jeune femme vietnamienne Ly Quang qui vient de tuer plusieurs soldats américains, par elle-même. Il fait soigner son bras gauche, et il fait sortir son aide Nguyen van Cuong (fils du général) pour pouvoir s'entretenir calmement avec elle. Il réussit à la convaincre qu'elle apporte plus à l'armée en devenant un encadrant formateur, qu'en réalisant des attaques en solitaire. Le 21 janvier a lieu l'attaque de Khe Sanh, et de la zone environnante dont la colline 61. Frank Castle dispose de plusieurs hommes de renfort, mais c'est lui qui doit organiser la défense de la colline. La nuit s'annonce longue.
S'il a lu les 60 épisodes de la série Punisher MAX écrits par Garth Ennis, le lecteur est déjà acquis d'avance au plaisir de la lecture de de cette histoire. S'il ne les a pas lus, il peut enfin découvrir Frank Castle version MAX dans un récit auto-contenu (et après il n'aura plus qu'une idée en tête : lire la série Punisher MAX). Le tandem Garth Ennis & Goran Parlov est déjà l'auteur de la dernière partie de la série The Punisher, Tome 13 : Valley Forge, Valley Forge (2008). Cette histoire contenait des extraits de l'ouvrage fictif du même nom, écrit par Michael Goodwin, le frère d'un soldat ayant servi sous les ordres de Castle lors de sa troisième période de service au Vietnam. C'est donc le même personnage qui interroge les 4 vétérans ayant servi sous les ordres de Castle lors de sa première période de service. Le lecteur reconnaît également le colonel Letrong Giap qui apparaît également dans la série Fury MAX (2012/2013) réalisée par les mêmes auteurs. Le lecteur se rappelle également que Garth Ennis avait fixé la date de naissance de Frank Castle au 16 février 1950 sur la couverture de l'épisode 44.
S'il n'a pas lu le Punisher MAX d'Ennis, le lecteur plonge dans une simple évocation de la guerre du Vietnam au début de l'année 1968, avec un personnage s'appelant Frank Castle qui se créera l'identité du Punisher à la fin de sa troisième période de service, et donc une identité qui n'apparaît aucunement dans cette histoire. Punisher est simplement évoqué à 2 ou 3 reprises dans la discussion entre l'écrivain Goodwin et les 4 vétérans. Malgré tout, pour tous les lecteurs, cette histoire peut comprendre une dimension ludique dans l'observation des situations dans lesquelles se trouvent Castle, et dans ses réactions pour déceler celles qui feront partie du mode opératoire du Punisher. Mais en tout état de cause, ce n'est pas une histoire de superhéros, ni de vigilant éliminant de manière définitive des criminels irrécupérables. C'est une histoire de guerre qui évoque un conflit spécifique, avec des dates historiques exactes et des références à des événements réels (l'offensive du Tet, la bataille de Khe Sanh, le massacre de civils à Mỹ Lai) qui sont nommés, sans être explicités. Il faut avoir à l'esprit que Garth Ennis éprouve une passion pour les affrontements armés du vingtième siècle, et que ses récits sont toujours rigoureusement documentés. Il n'y a pas de souci de date, et les références aux armes sont pertinentes et pénétrantes. Ainsi, l'enjeu sur la fiabilité des fusils M16 par rapport aux M14, et leur précision en comparaison des AK-47 est exacte et le lecteur peut croire l'auteur sur parole. Il n'en est que plus atterré quand Ennis indique que la quantité de bombes déversées lors de la bataille de Khe Sanh s'élevait à plus 100.000 tonnes, soit 5 fois Hiroshima.
Les pages bonus de Fury MAX avaient montré qu'Ennis relit les planches de l'artiste une fois réalisées, et qu'il indique les éventuelles inexactitudes en matière d'armement ou d'équipements militaires, que ce soit les tenues ou les véhicules de transports ou d'attaques. De la même manière qu'il peut avoir confiance dans le scénariste pour l'authenticité de la reconstitution historique, le lecteur peut avoir confiance en Goran Parlov pour l'exactitude de de tous les éléments d'époque qui sont représentés. En outre, ce tome comprend également les 3 couvertures alternatives réalisées par Marco Checchetto, Andy Brase et Scott Hepburn. Même en prenant en compte l'exigence éditoriale de réaliser des dessins de couvertures frappants, il apparaît que ces 3 artistes ne résistent pas à la tentation de dramatiser les postures de Frank Castle, de doter le personnage d'une forme d'aura romantique et virile, et d'intégrer un crâne dans le dessin. Dès la deuxième couverture, Parlov ne joue plus avec le motif du crâne sur la couverture, et si la posture de Castle met en évidence qu'il est une force de la nature, les détails des dessins le ramènent dans un monde plus réaliste avec des limites physiques et humaines. Pour Parlov, l'enjeu visuel n'est pas de rendre Castle beau et séduisant, mais de montrer qu'il appartient à une réalité concrète, avec des compétences qui le rendent le plus apte à la survie.
Alors même que cette histoire se lit de manière très fluide, elle contient de nombreux défis visuels. Garth Ennis est un auteur qui porte une grande affection aux dialogues, aux individus (souvent mâles) en train de papoter (Oups ! pardon, en train d'échanger leur point de vue de manière constructive). Or ce type de scène présente un intérêt visuel assez réduit. Pourtant, le lecteur n'éprouve jamais la sensation de regarder une comédie de situation au budget limité au strict minimum. Par exemple, la scène d'introduction correspond à une discussion de 4 pages entre des personnes assisses autour d'une table dans un bar. Ennis a fait un peu d'effort pour inclure un ou deux mouvements et Parlov montre le décor dans les arrière-plans, les mouvements des interlocuteurs, dans des cases de la largeur de la page, en utilisant toute cette largeur pour y mettre des informations visuelles. Il procède ainsi pour chaque scène de dialogue, prenant soin de montrer ce que font les personnages pour inclure un intérêt visuel. De son côté, Ennis fait un effort d'écriture pour que les personnages expriment leur pensée en termes concis, sans sacrifier la densité.
Non seulement, Goran Parlov sait transcrire la tension ou les émotions qui traversent les vétérans au fur et à mesure de l'évocation des événements de ce début d'année1968 (ce qui fait que chaque retour au présent à une saveur visuelle différente), mais en plus les scènes de guerre au temps passé se suivent et ne se ressemblent pas. Là encore, le défi narratif n'est pas si évident, car finalement, il s'agit à chaque fois de soldats échangeant des coups de feu contre l'ennemi dans la jungle et la boue. Au fur et à mesure des combats, le lecteur voit par lui-même que la nature et le relief du terrain ne sont pas interchangeables et ont une incidence directe sur son déroulement. Ce n'est bien sûr pas la même chose de défendre une position élevée sur une colline, que d'accomplir une mission dans la jungle ; les dessins le montrent clairement. Parlov ne dessine pas de manière photoréaliste. Cela ne veut pas dire que les dessins manquent de détails, mais plutôt que ces derniers sont représentés de manière simplifiée. Là encore, cela ne signifie pas qu'ils sont génériques, car l'artiste sait introduire dans ses tracés de contour, les petites variations d'épaisseur, les petits écarts dans les tracés qui reflètent l'irrégularité des contours, les différences de texture, l'usure, etc., un peu à la manière de Will Eisner. Ainsi, alors même que le lecteur peut parfois trouver que les traits encrés ne sont pas en grande quantité, ils réussissent quand même à nourrir son immersion dans une jungle ou une colline herbeuse. La consistance des décors est également nourrie par la mise en couleurs aussi discrète que sophistiquée de Jordie Bellaire, extraordinaire de complémentarité, sans jamais écraser les traits encrés. Il n'y a à la rigueur que les souterrains servant de base au colonel Letrong Giap qui manquent de consistance.
Grâce aux dessins de Goran Parlov, le lecteur suit donc le quotidien d'une section de militaires américains (pour la plupart des appelés) bénéficiant des talents de commandement de Frank Castle. Dans l'introduction, Michael Goodwin explique clairement l'intention de l'auteur : raconter la vraie histoire de Frank Castle (donc pas celle du Punisher), avant que sa famille ne soit tuée. Par opposition à Valley Forge, Valley Forge, il donne la parole aux Vietcong par l'entremise du colonel Giap et de Ly Quang. S'il y est sensible, le lecteur se rend compte que le récit montre l'armée des États-Unis comme des envahisseurs, les soldats vietnamiens défendant leur territoire. La narration établit de manière organique que l'enjeu principal pour les conscrits est de rentrer chez eux en bonne santé à la fin de leur service, sans pour autant en faire des tire-au-flanc. Néanmoins, Ennis ne passe pas sous silence les massacres accompagnés de mutilation, perpétrés à My Lai, et envers la famille de Ly Quang. Le lecteur fait également la connaissance de Donald, un gradé responsable de la logistique, magouilleur de première ayant organisé des trafics juteux, mais aux conséquences létales pour les soldats en situation de combat. Comme à son habitude, cet auteur sait raconter la guerre à la hauteur des êtres humains, et en montrer les conséquences sur les individus, contraints de vivre dans cet environnement, contraints d'affronter d'autres êtres humains pour leur survie.
Le lecteur retrouve d'autres caractéristiques de l'écriture de Garth Ennis, comme sa capacité surnaturelle à faire passer l'amitié entre mecs, que ce soit de manière positive (celle se développant progressivement entre Frank Castle et Dryden) ou que ce soit de manière négative (l'antagonisme entre les Bérets Verts des Special Forces et les marines, dans un bar). Contre toute attente, l'auteur a réussi à insérer des pointes d'humour, sans recourir à la forme énorme qu'il affectionne, mais en pratiquant un humour à froid en phase avec la nature du récit, et tout aussi efficace, que ce soit une évocation du journaliste Walter Cronkite (rendue décalée du fait de sa mention par Giap), le comportement des prostituées qui ne veulent pas faire de fellation (avec une explication pragmatique quelques pages après), un jeu de mot sur Fall (à la fois chute et automne, en anglais), ou encore une remarque sur une tête qui ne va manquer à un soldat mort (une moquerie sur son intelligence limitée). Au fil des épisodes, le lecteur se rend compte qu'il voit également se dessiner le portrait de Frank Castle, à la fois sur ses motivations profondes, à la fois sur la manière dont les situations de combat répondent à une pulsion chez lui.
Garth Ennis et Goran Parlov réalisent à nouveau une bande dessinée méritant le qualificatif de littéraire, effectuant une reconstitution historique fiable, une évocation de la nature humaine en situation de combat dans une guerre, la réalité d'un conflit armé à hauteur d'homme, une analyse de l'enjeu fondamental des combats pour les individus au front, le portrait d'un individu qui apparaît comme un héros pour ses hommes, mais comme un individu complexe à l'histoire personnelle que le lecteur ne peut pas envier. Exceptionnel. Il ne reste plus qu'à croiser les doigts pour que Garth Ennis & Goran Parlov racontent la deuxième période de service au Vietnam de Frank Castle, ce qu'Ennis promet dans la page des lecteurs du dernier épisode.