Grâce à La Pastèque, cette (encore) jeune maison d’édition québécoise très dynamique qui s'impose l’une des principales forces de proposition outre-Atlantique dans le domaine du neuvième art, la BDQ (surnom de la BD québécoise) prouve qu'elle est bien vivante, longtemps coincée entre le géant US pourvoyeur de comics et la franco-belge en Europe. Cet éditeur, également spécialisé dans les livres jeunesse, semble avoir profité de l’engouement pour le roman graphique, notamment en publiant les œuvres de Michel Rabagliati, un des auteurs les plus connus en dehors du Québec, lequel le lui a bien rendu.


Réal Godbout, moins connu dans l’Hexagone, n’en est pas pour autant un nouveau venu dans le domaine. Très renommé dans son pays, il est le créateur du personnage mythique de Red Ketchup, un espion aussi drôle que crétin. Sur un scénario de Laurent Chabin, auteur de polars né en France et québécois d’adoption, Godbout a mis en images une histoire se déroulant dans les bas-fonds de Montréal, très éloignée de la croyance européenne selon laquelle le Canada était une sorte de miroir inversé de son violent voisin étatsunien, comme un idéal paisible et bien ordonnancé.


A la manière des grands écrivains d’outre-Atlantique, Laurent Chabin décrit à travers cette enquête policière l’envers du rêve « améri-canadien », en présentant une galerie de personnages vivant en marge d’un système où seule compte la réussite sociale. Hobos, prostituées et maquereaux composent cet univers sordide où la violence feutrée des milieux de pouvoir est reproduite dans toute sa crudité, sans vernis social pour masquer des petites combines pas toujours très propres. Au vu d’un tel contexte, la ligne claire avenante de Réal Godbout peut surprendre. Son style, qui colle bien à l’univers déjanté de Red Ketchup, apparaît ici presque en peu en décalage, car si ses visages expressifs aux yeux parfois exorbités se marient bien avec l’humour noir présent dans une bonne partie de son œuvre, l’histoire est ici d’un réalisme âpre et ne prête guère à rire. Pour ce qui est de la narration en elle-même, elle reste simplissime, voire un brin superficielle, même si le dénouement est assez inattendu… de même, les personnages auraient mérité d’être un peu plus creusés…


En somme, « Quand je serai mort » constitue une lecture plaisante, sans être inoubliable, mais peut-être est-ce dû au format relativement court (80 pages) qui empêche une véritable exploration de cette réalité sociale méconnue dans un Montréal à la si bonne réputation. Quoi qu’il en soit, on pourra toujours, en tant que Français, se délecter de la truculence pittoresque du parler québécois.

LaurentProudhon
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le 5 août 2020

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