Avec "Garfield", nous pensions avoir trouvé le miroir de notre feignantise, la retranscription de notre quotidien lorsqu'il se laisse dominer par l'Ennui et surtout l'impossible satisfaction de notre propre existence. Il reste toujours un totem valide, bien entendu, pour les enfants et les adolescents qui troqueraient bien leurs questions existentielles contre des lasagnes. Mais pour les jeunes adultes, leur Garfield, c'est Rocky : plus sexuel, plus grossier, plus bavard aussi, cette série de strips vaut le détour. Pourtant, tel Garfield, ce sont des histoires de mecs qui causent autour d'un verre, de nanas trompant leurs hommes et vice-versa, et de voyages déchés complètement pétés. La Loose à la Suédoise. Mais, tel Garfield, cette série de vignettes est conçue exprès pour que le plus grand nombre se reconnaisse dans ce portrait traditionnel. Pas super original donc, à première vue. Sauf qu'il souffle sur cette BD un formidable vent de liberté. Rien qu'avec l'édito, on comprend que tout est irrespect et ronchonnement gratuit. Le protagoniste est pitoyable, d'une virilité caricaturale, et pourtant sa connerie le rend super attachant, comme pour ses amis. Les gags, qui tournent sur une centaine de pages autour d'un mode de vie plein d'errance et d'aventures amoureuses chaotiques, sont écrites avec une rare truculence, qui font du pathétique un véritable moteur comique. En bref, un portrait générationnel tourné en dérision. On ressent d'ailleurs l'aspect totalement autobiographique du livre, déjà fortement insinué dans l'édito, l'auteur s'imprégnant de son personnage au point de ne point vouloir inventer. Mais, malheureusement, ça se retourne contre lui ! Un artiste ne crée jamais aussi bien que lorsque sa vie ne va jamais aussi mal ; le début du livre est très réussi, car Kellerman venait de se faire larguer et virer. C'est triste et cruel, mais c'est pas moi qui a inventé les codes de l'inspiration. Et c'est cette déroute existentielle qui donne la profondeur inédite des gags ! Puis, au bout d'une centaine de pages (oui c'est un pavé mine de rien), Rocky se maque. Et là, le perso y perd toute son originalité, et malgré les tentatives de son auteur, il en perd également son cynisme mordant. Même si certains gags restent mémorables (certains poussant même à une sincère réflexion), ils restent épars et surtout beaucoup trop calmes par rapport au personnage bourré d'excès que nous avions connus, auquel nous nous étions attaché. Le sursaut adultère est d'ailleurs pansé très rapidement... Malgré ce regain de rythme à la fin, je vous recommande vivement ces chroniques désabusées et drolatiques car, comme le dit si bien un critique à la fin du livre, utilisé comme citation : "ça nous change de la merde qu'on nous sert tout le temps !". Longue vie à la Suède.