Photographie Sociologique Illustrée de la Question Migratoire en France

Tout au long de l’année 2016, Lisa Mandel, dessinatrice, et Yasmine Bouagga, sociologue, sont venues rencontrer les exilé(e)s sur la jungle de Calais afin de nourrir un blog, paru sur le site LeMonde.fr, et d’informer sur



les enjeux locaux et nationaux liés au plus grand bidonville de France.



Aujourd’hui, le blog est devenu un livre. Associatifs, militants et bénévoles d’un côté, exilés miséreux au centre, et municipalité, préfecture et gouvernement de l’autre, les deux auteures dépeignent les innombrables situations d’errance et le quotidien d’une ville éphémère, et rappellent les espoirs d’hommes et de femmes déracinés, avec tendresse et humour.



« Mon message ? Il n’y en a qu’un je crois, qui est un cri ! Partagez.
Donnez. Tendez la main aux autres. Gardez toujours un carreau cassé
dans vos univers bien feutrés. »
Abbé Pierre.




Compilation de courts reportages plus qu’ouvrage scénarisé,



il y a du coup dans Les Nouvelles de la Jungle de Calais, de nombreuses faiblesses qui laissent une impression malheureuse de légèreté et d’inaboutissement. Pourtant, les auteures font le tour des questions posées et cherchent à informer en profondeur, sans omission et avec intelligence.


Pour situer le contexte, une longue introduction illustre une intervention de Haydée Sabéran, journaliste indépendante sur le terrain calaisien depuis presque deux décennies, sous forme d’indispensable témoignage historique de l’évolution des jungles calaisiennes. Tout au long de l’ouvrage par la suite, les auteures s’intéressent à la structure des camps à travers les associations qui y interviennent : on retrouve ainsi la Cabane Juridique, l’implication de Salam, de l’Auberge des Migrants, la mobilisation sur demande gouvernementale de la Vie Active. Et pour bien expliquer le rôle de chacune, Yasmina Bouagga et Lisa Mandel n’oublient pas de raconter également la situation des communautés en errance : afghans, soudanais, érythréens, oromos, avec une forte présence masculine certes mais soulèvent aussi le voile sur la situation difficile des femmes dans ce bidonville, et des mineurs isolés. Au cœur de la jungle, c’est l’espoir d’une vie meilleure qui bourdonne et l’ouvrage explore alors les difficultés liées aux demandes d’asile autant que les improbables voies de passage vers l’eldorado britannique. Si la plupart des petites histoires qui s’agrègent là sont empreintes de misère et de détresse, les deux compères n’hésitent jamais à glisser un peu d’humour pour alléger l’ensemble ou pour dénoncer les réactions disproportionnées de la municipalité ou de la préfecture, comme lors de cet épisode qui vient raconter la diabolisation étatique et médiatique des No Border, simples citoyens inoffensifs, bénévoles soucieux de préserver les droits des exilés, dépeints par les (ir)responsables politiques comme de dangereux terroristes d’extrême-gauche. Sans se contenter de la jungle de Calais, et pour tenter d’y souligner les dysfonctionnements autant que pour rappeler son caractère inéluctable, le travail d’observation ne se limite pas à ce bord de littoral mais nous emmène sur d’autres camps, de celui de Grande-Synthe à celui de Stalingrad à Paris en passant par le bucolique campement de Norrent-Fontes.



L’ensemble n’est jamais pleurnichard, jamais sordide,



et on trouve même parfois quelques touches de poésie.
Outre l’humour et le recul, c’est dans le dessin que la dédramatisation trouve son apogée : la simplicité de la caricature universalise le propos et donne une touche de tendresse naïve, profondément humaine, à ces situations pourtant insupportables, miséreuses et révoltantes.
Pour autant, même si l’inaction policière ou les blocages autoritaires qui sont rappelés là viennent souligner l’irresponsabilité d’un gouvernement coupable de négligences et de mises en danger de la vie des exilés, l’ensemble de l’ouvrage manque cruellement de cohérence narrative, d’un scénario qui raconterait une histoire, un parcours, qui viendrait personnifier concrètement les errances et les angoisses des exilés, qui viendrait appuyer les sentiments contradictoires, complexes et paradoxales qui disent les difficiles tenants et aboutissants de la situation.


Si les deux auteures arrivent à souligner



l’irresponsabilité de l’État quant à la gestion de la question migratoire,



qui parle toujours d’appel d’air à éviter quand la situation internationale seule crée les conditions de l’exil et de ces rêves d’occident, Les Nouvelles de la Jungle de Calais manque d’un petit quelque chose – d’une cohérence scénarisée, de grandes envolées humaines face à l’accumulation des obstacles – pour réellement toucher au cœur le lecteur. Objet sociologique avant tout, l’album est informatif et relativement exhaustif certes, mais le sujet aurait mérité plus de sentiments, une pesanteur plus engagée, pour réellement réveiller les consciences éloignées du problème. Au final, les deux auteures semblent ne s’adresser qu’à celles et ceux qui sont déjà conscients des enjeux mis en lumière, qui sont déjà engagés dans la solidarité qui s’est exprimée là jusqu’au démantèlement.

Créée

le 25 avr. 2017

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