Cette critique concerne le diptyque de L'Epervier bleu (L'Epervier bleu et Sur les traces de l'Epervier bleu)
Un nouveau diptyque sur Natacha et Walter Sr, on aime, on aime pas.
A quand un nouveau diptyque sur les deux héros Jr ?
Quoi qu'il en soit, un diptyque sympathique porté par le retour des grands mots d'esprits, par de belles péripéties, une certaine interactivité, un certaine intertextualité et peut-être aussi beaucoup de nostalgie !
Une très belle morale à la clef !
La Résurrection de L'Epervier bleu
Une fois n'est pas coutume, Walthéry adore ressusciter les albums anciens et oubliés en leur donnant un lustre nouveau, le charme d'un Natacha et, lorsqu'il s'agit d'une oeuvre de l'Ecole de Bruxelles, une transposition dans l'Ecole dite de Charleroi-Marcinelle. C'est le cas ici.
Pour ce diptyque, il choisit une bande dessinée de Sirius, une aventure de son héros surnommé l'Epervier bleu ! Le héros revit au travers du cotre qui fait naviguer les ancêtres de Walter et Natacha dans les eaux qu'il connut avant eux.
Triomphe de la nostalgie mais aussi triomphe de la fantaisie grâce à une géographie exotique et sa toponymie hilarante, inspirée de la toponymie indienne: les aventures se déroulent en mer entre les archipels de Tutuèpuri (Tout, tout est pourri !) et de Tuatupuri (Toit tout pourri) ! Une toponymie qui n'a pour seule rivale l'onomastique des autochtones: Karahoké (Karaoké), Takwakipanla (T'as quoi qui pend là ?) ou encore Chakavomi (Sac à vomi).
Les fins connaisseurs rappelleront à juste titre que l'on peut aisément effectuer la comparaison planche par planche entre L'Île aux perles (l'album de l'Epervier bleu) et le diptyque de Natacha; Cela se ressent d'ailleurs au langage des personnages (Natacha Sr qui alterne un langage familier et des tournures très recherchée, qui appelle ses alliés "mes enfants") ainsi qu'au vocabulaire de la marine digne d'un épisode de Barbe-Rouge qui permet de tisser le récit. Etonnant, certes, mais en rien désagréable.
Certains méchants de l'Epervier bleu font donc leur retour parodique dans Natacha
et leur survie finale - bien que tenant des rumeurs et de la légende - n'exclut pas leur retour à la façon de Maurice dans Le Regard du passé !
L'un d'entre eux est d'ailleurs dessiné tel un Hitler sans moustache et est prénommé ...Non, mais attends ! Tu peux pas l'appeler Adolf !!!!!
Walthéry parvient savamment à ménager nostalgie et invention nouvelle dans ce bel hommage qu'il rend à Sirius jusque dans les titres.
Argumentatum ad Antiquitatem
Peut-être un peu moins dosé pour ce qui est dans l'univers de Natacha ...
En effet, le diptyque a par moments de faux airs de boucle bouclée. Nombreux sont les renvois à d'anciens albums et, parmi ces renvois, tout une péripétie qui se rappelle ouvertement le tout premier album de la série. Alors, oui, cette fois, ce sont les "vieux", comme les nomment Walter, qui vivent ce que Natacha et Walter Jr ont déjà vécu. Mais le dosage reste assez correct, à l'instar d'une allusion relativement subtile à un élément précis et historique de L'Île d'outre-monde.
Le Commandant Turbo pourrait déclarer: "J'ai déjà vu ça !" mais il le ferait avec un sourire amusé et satisfait.
" Mort au champs d'horreur"
D'ailleurs, en termes d'allusions historiques, à celle reproduite d'un album passé s'ajoute une autre jamais abordée par la série, à savoir le cambronne à l'américaine, façon Guerre Mondiale.
L'album traite plutôt bien de cette triste période de l'Histoire, de 40 à 45, avec autant de sérieux que d'humour, les deux se mêlant dans la citation-titre de ce paragraphe, issue de second album. On parle des camps, on parle des morts, des survivants restés dans l'esprit de la guerre. Et cela, l'année du centenaire de la Première Guerre Mondiale,c'était une très belle idée !
"Entendre ça ! Et en 1948 !"
Heureusement, les albums ne sont pas que sombre !
Le second se fait même un malin plaisir à jouer avec le politiquement correct tant à travers les répliques de ses personnages ou en notes amusées.
Le féminisme version Metoo, qui souvent oublie qu'il y a eu un féminisme avant lui et assène sans arrêt des "il est temps", "le temps est venu", "en 2018", etc ..., trouve sa caricature dans ces hommes admiratifs de Natacha qui lui disent qu'elle devrait être un homme. Et Natacha de répondre: "Entendre ça ! Et en 1948 !". Notre héroïne favorite prouve, non par des discours mais au travers de ses actes que la véritable force réside bien plus dans l'art de conter des histoires, de comprendre les autres et d'assurer la paix que dans la force physique.
Le politiquement correct qui terrorise en confondant couleur de peau et axiologie en prend aussi pour son grade, les méchants étant issu de nombreuses nations différentes, l'un d'entre eux étant chinois. Walter s'étonne de ce qu'un chinois puisse être méchant et Natacha lui répond: "Enfin, Walter, vous êtes naïf ou quoi ? Il y a des crapules là aussi, comme partout !". Il n'est pas plus mal d'entendre en 2018 cette simple vérité: la Bien et le Mal n'est pas une question de nationalité, de race, de couleur de peau. Il faut fuir et l'intolérance et l'angélisme trompeurs. Il vaut mieux tabler sur les vraies et belles valeurs, simples et premières ... "tous ces trucs qu'on nous inculque quand on est enfant et rêveur ... pour déchanter très vite quand on tombe dans le monde des adultes, certes peuplés de braves gens, mais hélas , d'un très grand nombre d'escrocs, d'imbéciles, de médiocres et de fous toutes catégories ..."
Et tant qu'à parler de fous ....
Fous de Natacha !
Fous, fous de Natacha !
Dans le diptyque de l'Epervier bleu, la belle hôtesse de l'air est plus sexy que jamais (c'est du moins ce que l'on dit pour chacun des albums ! ;) )
Que ce soit Natacha Sr en bikini rose zébré de noir, que ce soit Natacha en uniforme ou en monokini de gym, les hommes sont fous de Natacha ! Ils salivent, ne leur en garder point rancune, mesdames, mesdemoiselles, vous êtes toutes des Natacha ! Rappelez-vous que Walthéry ne sait pas vous dessiner autrement qu'ils ne la dessine elle !
Le premier album du diptyque a d'ailleurs essuyé une polémique: pour la première fois et pour un gag assez savoureux - ne pas se moquer des autres de peur de devenir soi-même risible - Natacha est nue, complètement nue. Mais vêtue d'une ombre propice quoique coquine !
"Bon, vous êtes bien accroché ?"
En conclusion un excellent diptyque même si l'on préfère toujours les aventures modernes aux rétrospectives sur les grand-parents de Walter et Natacha.
Ces derniers ne sont pas en reste, créant une belle dynamique narrative. Certes, ils sont bloqués à l'hôtel à New York à cause de la neige en pleine période des fêtes. Mais ils se consolent en lisant les aventures de leurs aïeux rapportés par Natacha Sr: la lecture devient action puisque les personnages semblent comme emportés dans le récit. Natacha, tellement émue par sa lecture se trompe de porte, ce qui annonce au lecteur un récit prenant. La reprise du récit du second album commence avec, de part et d'autre de la case nos deux lecteurs, Natacha demandant à Walter s'il est bien attaché, Walter lui répondant par l'affirmative. En plus d'un clin d'oeil de Walthéry au lecteur, une sorte de mise en abîme et une connivence méta-discursive - on demande si l'on est bien accroché quand s'achève la partie dite "d'accroche" - cela fait des deux personnages des lecteurs intra-diégétiques mais surtout des conteurs, des lecteurs actifs. Si actifs qu'ils finissent par s'interroger quant à l'authenticité du récit de Natacha Sr.
Morale de l'histoire:
La véritable action, la véritable force, le véritable pouvoir, c'est l'art de lire et l'art de narrer des histoires.