Avez-vous déjà entendu parler de la Tortue Verte ? Fait-elle partie de votre liste des super-héros ? Si c’est le cas, sa renaissance dans The Shadow Hero, le one-shot de Gene Luen Yang et Sonny Liew vous intéressera. Si ce n’est pas le cas, alors la série vous plaira quand même, parce que vous lirez la naissance d’un super-héros singulier, qui rappelle que l’habit ne fait pas le moine. (Les premières pages peuvent être lues ici.)
Commencer par la fin
Pour démarrer cet avis, je vais repartir de la fin, et de la postface de Gene Luen Yang (le scénariste), très utile pour saisir l’origine de cette œuvre.
N’étant pas très versé dans l’univers des comics, je n’avais jamais entendu parler de la Tortue Verte et encore moins de son auteur : Chu Hing. La postface est alors utile pour resituer la naissance du premier super-héros chinois, certaines curiosités (le héros ne montre jamais son visage, a la peau d’une teinte « rose peu naturelle »…), les rumeurs (conflit entre Chu Hing et son éditeur), la durée de vie courte de la série (le public n’a pas suivi)… et une question restée sans réponse : quelle est l’origine de ce super-héros ? A chaque fois que la question lui est posée, le héros ne répond pas, un événement coupe court à la discussion. The Shadow Hero est la réponse de Gene Luen Yang et Sonny Liew à cette question.
De plus, la postface est accompagnée de la première aventure de la Tortue Verte, parue dans le Blazing Comics n°1 ce qui permet de voir le design de la série d’origine, les stéréotypes utilisés, l’ambiance des années 1940 qui ressort de ces pages, etc.
Tu seras un super-héros mon fils
The Shadow Hero nous plonge dans une atmosphère différente : nous ne sommes pas en Chine, comme dans le comics d’origine, mais aux Etats-Unis. La Tortue Verte est un enfant d’immigrés chinois (Pin et Hua) : Hank. La Seconde Guerre mondiale n’apparaîtra qu’en toute fin de volume.
Le ton se veut aussi plus léger. Certes cela n’empêche pas quelques passages dramatiques mais, le plus souvent, on sourit en voyant les débuts de la Tortue Verte. S’il est devenu super-héros c’est d’abord à cause de sa mère qui lui fait un beau costume avant de lui trouver un nom : l’homme doré de la bravoure… Comme Hank n’a aucun super-pouvoir, il n’est pas très chaud pour embrasser cette carrière, surtout qu’il se voit plus prendre la place de son père, qui tient une petite épicerie (sa mère travaille chez les Olson, des américains fortunés).
Mais sa mère insiste. Venue en Chine dans l’espoir d’être émerveillée elle n’a connu que des déceptions, s’est résignée. L’American way of life est loin. Sa passion pour les super-héros remplit un vide : elle sourit ! Elle veut faire de son fils un super-héros et elle est résolue. Elle va tenter différentes expériences pour lui faire développer un super-pouvoir (vous pourrez vous amuser à retrouver à quels super-héros il est alors fait référence).
Être la Tortue Verte
Finalement Hank va apprendre à se battre et une fois qu’il a atteint un niveau suffisant, c’est parti pour sa première sortie. Une sortie en voiture, avec sa mère (qui a emprunté la voiture des Olson) et… qui lui vaut quelques ecchymoses en plus d’être sauvée par la personne qu’il était censée secourir ! Ce n’est donc pas une franche réussite, sa mère étant amèrement déçue (« Quelle honte ! Quelle honte ! »). Si vous ne l’avez pas déjà fait, regardez le trailer du one-shot, qui met bien en scène les lignes qui précèdent.
Pour que l’homme doré de la bravoure devienne la Tortue Verte, qu’une renaissance s’opère, et qu’il obtienne une sorte de super-pouvoir (ne pas être touché par les balles) il faudra quelques péripéties que vous découvrirez en lisant les pages de The Shadow Hero. Inutile de préciser que les aventures de Hank seront l’occasion de faire la connaissance de plusieurs personnages hauts en couleurs, certains crétins, d’autres corrompus, d’autres honnêtes, attachants… Une mosaïque comme on les aime !
Outre l’univers des super-héros américains (l’ancre de la justice vous rappellera sûrement quelqu’un) abordé à travers les péripéties du Kick-Ass-malgré-lui de Chinatown le one-shot va plus loin que la question des origines de la Tortue Verte. Au fil des pages c’est aussi la question de l’immigration qui est évoquée, les problèmes d’intégration, le fonctionnement du quartier, la sociabilité qui se noue, les sommes à verser pour être « protégé », la perception des asiatiques aux Etats-Unis et vice-versa (lisez les commentaires que fait Hua quand elle voit passer des américaines), l’avenir tout tracé que se voit Hank au départ (reproduction sociale)…
Graphiquement, le travail de Sonny Liew se révèle très agréable à découvrir et à suivre. Un côté assez vintage/rétro est présent, et une douceur dans le trait se repère, rendant l’action des scènes de combats sans en faire ressortir la violence. Le mariage du comics et de la culture chinoise (costumes, références…) est réussi ! On apprécie d’autant plus cela que l’édition proposée offre un papier de qualité, un format 24 par 17cm qui rend le tome facile à manipuler, avec une couverture ni trop dure ni trop souple mais à point.
Un super-héros en devenir
Plaisant à lire, joli à voir, bien éclairé par la postface ce one-shot m’a bien accroché. Plus drôle que le comics d’origine, moins chargé sur les stéréotypes, The Shadow Hero est une agréable respiration et un très bel hommage à un super-héros méconnu.