La sortie cette semaine d’une édition pour le vingtième anniversaire de la parution française de l’Habitant de l’Infini de Hiroaki Samura constitue un formidable prétexte pour parler de ce manga monumental ! Pour y parvenir, j'ai organisé cet avis en quelques points qui représentent, à mes yeux, les principales lignes de force de la série.
Une histoire de vengeances… mais pas seulement
Le point de départ de la série brille par sa clarté : une jeune fille, Lin Asano, désire se venger du Ittôryû, une bande de fines lames menée par Kagehisa Anotsu et responsable de la mort de ses parents. Pour cela la jeune fille embauche un rônin, Manji, car elle n’est pas assez forte pour se venger seule de ceux qui ont gâché sa vie. Nous voilà partis pour une chasse aux hommes.
Pour autant, Lin n’a pas le monopole de la vengeance et cela participe de sa quête initiatique : voir ce que la vengeance fait aux femmes et aux hommes impliqués ; faire le point sur sa vengeance, ce qu’elle implique, savoir si elle veut aller au bout, s’allier avec d’autres…
Toutefois, l’Habitant de l’Infini n’est pas qu’un manga de vengeance. D'autres sentiments sont présents et différents courants coexistent chez une même personne différents courants. Ainsi Lin et Kagehisa font un bout de chemin ensemble, se parlent, se protègent... Derrière la haine se trouve des moments d’apaisement et parfois d'amour quand bien même la conclusion de ces amours n’est pas souvent heureuse (à cet égard, ne passez pas à côté des chapitres 200 et 201 du tome 30).
Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie… même si elle est immortelle ?
Détail qui a son importance : Manji est immortel ! Pourtant, sa condition ne fait pas de lui le plus fort, le meilleur bretteur, surtout que la forme d’immortalité à l’œuvre dans le manga ne fait pas rêver : Manji possède le Kessenchû, une sorte de ver qui lui permet de survivre aux coups reçus. La série consacre alors plusieurs moments à interrogation cette condition - et à travers elle, la vie et la mort. Le docteur Ayame Burando aura ces paroles éclairants concernant Manji : « Son immortalité est caractérisée par la souffrance. »
La victoire sinon rien
Troisième point d’entrée dans la série, les combats sont l’occasion d’en apprendre beaucoup sur l’époque et sur les personnes. Échanger des coups ne permet pas toujours la compréhension mutuelle, mais au détour des propos tenus on comprend les idées qui s’opposent, les manières de faire et de gagner. Tout est bon pour l'emporter (empoisonner son adversaire, mentir...).
Au fil des combats on voit apparaître différentes armes et différents styles de combats : Anotsu se bat avec une drôle de hache ; Shira vise les bras ou les jambes ; Makie - une combattante du Ittôryû - manie une lance à trois branches qui fait bien des dégâts... La diversité se retrouve aussi dans la manière dont Hiroaki Samura représente les combats : page simple, double, succession de petits cadres ressemblant à une esquisse ou à un manuel de combat, pleine page pour un personnage, changement d’angle de vue… l’auteur utilise un large répertoire pour nous montrer toute la vitesse, la puissance, la violence des coups. Du grand art.
La volonté du feu version Hiroaki Samura
Masashi Kishimoto faisant partie des lecteurs de la série (voir l'entretien présent dans l'édition anniversaire), il n'est pas incongru d'évoquer, brièvement, un thème cher au manga Naruto : la volonté du feu qui doit être transmise aux nouvelles générations. Cette question de la transmission traverse aussi l'Habitant de l'Infini (voir notamment l'échange entre Kagehisa et Hyakurin à la fin du tome 16), tout en soulignant le fait qu'il faut prendre garde à ce que l’on transmet à ses descendants, afin que cette transmission ne devienne pas une malédiction.
L’Habitant ou les Habitantes de l’Infini ?
La série introduit au fil des tomes de nombreux personnages dont pratiquement aucun n'est tout noir ou tout blanc. Cela ne veut pas dire qu’il faut céder au relativisme mais, simplement, que l’auteur ne cherche pas à nous dire si telle ou telle voie est plus juste, morale… que l’autre. C’est à nous de nous faire notre avis.
Surtout, le manga brille par les portraits de femmes qu’il donne à voir. Certaines ont la santé fragile, d’autres n’ont aucun talent pour se battre, certaines sont violentées, d’autres amoureuses, drôles… Les obstacles peuvent s’accumuler, elles ne se plaignent pas et avancent, quoi qu’il puisse leur en coûter. Magnifiquement dessinées par l’auteur, elles ne passent pas inaperçues sur la rétine.
Dernières remarques
L’Habitant de l’Infini est un manga qui possède un souffle et qu’on sent vivre au fil des pages. Outre une histoire maîtrisée et une conclusion douce amère cette série gagne à être lue et relue : parce que chaque passage vous permet de mieux repérer les personnages, (re)découvrir certaines planches. Et n’oublions pas tous les à-côtés : planches en début de volume, bonus de fin, détournements divers… C’est ainsi un manga qui nous fait éprouver toute une palette de sentiments et que l’on termine non sans quelques émotions, hanté par le souvenir d’une femme et de son regard.
Version longue et illustrée de cet avis à retrouver par là.