Une BD très populaire (mais pas la première)
Nos amis Américains présentent souvent "The Yellow Kid" comme la première bande dessinée en absolu. En même temps, nos amis Américains disent souvent des bêtises, portés à l'exagération comme ils sont... Hélas, cette bêtise particulière a pris pied au point que le "wishful thinking" du "Yellow Kid" en tant que première bande dessinée est toujours cité de nos jours dans certains ouvrages. Et même le soi-disant "Centenaire de la BD" de 1896 était basé sur la publication de "L'Enfant en jaune" - même pas sur sa première publication, d'ailleurs, mais sur son apparition dans l'empire médiatique de William Randolph Hearst.
Le très britannique "Ally Sloper" aurait une chose ou deux à dire à ce sujet, ce personnage précédant "The Yellow Kid" de presque trente ans dans l'histoire; tout comme "Max et Moritz" en Allemagne, d'ailleurs, ou encore "La Famille Fenouillard" en France. Et que dire de "M. Vieux Bois", du Suisse Rodolphe Töpffer, antérieur de pratiquement sept décennies au "Yellow Kid" et dont même la traduction américaine précède ce dernier de plusieurs dizaines d'années ("The Adventures of Mr. Obadiah Oldbuck", publié à New York le 14 septembre 1842). Même parmi les comics américains pur-sang, "The Little Bears" de Jimmy Swinnerton pourrait clamer à la primauté sur "The Yellow Kid", vu qu'il avait déjà été publié en 1893 dans un des journaux de Hearst.
Mais cette petite polémique, finalement assez académique, ne devrait pas occulter le fait que "The Yellow Kid" est réellement un comic important dans l'histoire de la bande dessinée. Premièrement, par la popularité de la série elle-même, au point de porter à la commercialisation de toute une série de produits dérivés allant des cigarettes au whiskey en passant par des savons et des cartes postales. Ensuite parce que, à une période où le phylactère (précédant la bande dessinée moderne) ne s'était pas encore imposé comme caractéristique du médium, l'utilisation de la chemise du Yellow Kid pour exprimer la parole et les pensées représentait une idée originale, et peu réutilisée depuis (par ailleurs des phylactères apparaissent également dans la série, mais pas pour la première fois dans le médium).
En définitive, c'est bel et bien l'immense popularité de "The Yellow Kid", soutenue par la puissante machine publicitaire de William Hearst, qui a ancré la bande dessinée dans l'imaginaire commun américain et qui a, par là même, permis le lancement d'autres séries au cours du premier âge d'or du 9e Art. Son influence se fera sentir jusque dans les caricatures des immigrants irlandais "brutaux, avinés et simiesques" qui évolueront vers le grotesque Alfred E. Neuman, "graciant" les couvertures de MAD Magazine.
Quant à son auteur, Richard F. Outcault, il finira par se lasser de sa création et délaissera "The Yellow Kid", décrétant ainsi sa fin. Outcault restera actif dans la bande dessinée en lançant un deuxième personnage (et série) à succès: "Buster Brown". Mais ceci est une autre histoire...
