C’est ce qui est chiant dans les séries au long cours : elles ne prennent toute leur ampleur qu’en lisant les albums à la suite, ça devient parfois difficile de les distinguer, et pour peu qu’on fasse une pause on est obligé de lire les critiques précédentes pour ne pas se retrouver paumé.
Un vaste monde est finalement plutôt pépère : à partir du moment où Jesus apparaît on se doute qu’il n’y aura aucun véritable retournement avant la fin de l’album. C’est drôle, d’ailleurs, que dans une bande dessinée venue d’un pays où les gens sont censés être pétris de religion, un type qui s’appelle Jesus soit un tentateur, qui promet nourriture abondante et compagnie des hommes… (Je crois même que dans la Bible, le Diable propose à Jésus de régner sur ce qu’il voit depuis une montagne. Aux pages 69 et 70, Rick, Abraham (!) et Michonne contemplent ainsi le vaste monde qui s’offre à eux et donne son titre à l’album. Bref.) Cela dit, Walking Dead reste une bande dessinée états-unienne : ce que Jesus propose, c’est le commerce… Et au bout du compte, celui qui laisse venir à lui l’enfant ne détourne jamais la joue gauche après s’être pris une droite.
Comme on s’y attendait après Deuil & Espoir, l’arrivée de Jesus ne fait que détourner les doutes de Rick – se fier ou se méfier ? – dans une autre direction. Puis on ne s’étonnera pas que Carl éborgné lève le doute : au XXIe siècle, les enfants ont toujours raison – et dans la mythologie gréco-romaine les meilleurs devins sont aveugles. (Pour le reste on attend toujours cette discussion sur l’œil de Carl que Rick a promise à son fils pour le lendemain à la page 31.)
Une autre nouveauté apportée à la série par Un vaste monde, c’est qu’on découvre un personnage de lâche : Gregory. Car cette fois, on ne doute pas quand Jesus présente le chef de sa communauté comme un couard : une fois que le lecteur – avec Rick – fait confiance à Jesus, il sait – avec Rick – que Gregory ne sera jamais fiable. Simplement parce que Gregory n’agit jamais – sachant que Walking Dead reste globalement un éloge de la réflexion suivie d’action –, parce qu’il se trompe dans les prénoms et parce qu’il ne remarque pas tout de suite la main coupée de Rick. Ça pourrait être drôle, mais en contexte ça signifie ce type ne pense qu’à sa gueule.
Alors qu’une pleine page (p. 116) de Rick couvert du sang de l’homme qu’il vient d’égorger et demandant « Quoi ? », c’est de l’humour noir et en contexte ça signifie ce type ne se laisse pas marcher sur les pieds.
Et voilà comment on produit de l’identification.
Critique du volume 15 ici, du 17 là.