Ce tome fait suite à Deuil et espoir (épisodes 85 à 90) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 91 à 96, initialement parus en 2011/2012, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Charlie Adlard, avec des nuances de gris apposées par Cliff Rathburn.


Eric, Glenn, Maggie, Aaron et un autre effectuent une maraude dans les alentours d'Alexandria pour récupérer ce qui peut encore l'être. Ils doivent se défendre contre une poignée de zombies, et constatent qu'il n'y a plus grand-chose à récolter. À Alexandria, Rick a réuni Abraham Ford, Michonne, Nicholas et Andrea pour expliquer comment il envisage l'avenir de la communauté. Les dernières boites de conserve fabriquées commencent à dater de 2 ans. La communauté doit absolument réussir à cultiver sa nourriture. Dans une pièce à côté, Carl et Sophia jouent ensemble et papotent. L'une demande si l'œil de l'autre le fait souffrir, le premier évoque la mort des parents biologiques de Sophia. Après la réunion, Abraham Ford se rend devant la grille de la clôture pour jeter un coup d'œil de l'autre côté, et échange quelques mots avec Holly. Andrea évoque sa solitude avec Rick Grimes.


Puis Rick Grimes va rendre visite à la docteure Denise Cloyd, pour faire le point sur l'approvisionnement de la pharmacie. Le petit groupe étant partie pour récupérer des produits revient sur ces entrefaites. Eric rentre chez lui retrouver son chéri Aaron, avec la bouteille de whisky qu'il a dissimulée aux autres. Rick rentre chez lui et essaye de discuter avec son fils de sa blessure à l'œil. La discussion s'avère frustrante. Le lendemain, Abraham Ford et Michonne sortent à l'extérieur pour exterminer quelques zombies et vérifier que leur nombre n'a pas trop augmenté. Ils tombent nez à nez avec un individu seul, leur déclarant s'appeler Jésus (Paul Monroe). Il leur apprend qu'il vient de la part d'une communauté appelée Colonie Hilltop, et qu'il est en mesure de leur proposer de faire du troc.


En commençant ce seizième tome, le lecteur s'attend à observer comment Rick Grimes continue d'organiser la communauté d'Alexandria pour qu'elle devienne autosuffisante, et puisse vivre en autarcie, en recommençant à manger des légumes et des fruits frais (un miracle qu'aucun d'entre eux n'ait encore attrapé le scorbut). Il prend plaisir à voir Rick Grimes continuer dans la voie de la planification à moyen terme, de prendre l'avis des autres, même s'il ne s'agit que d'un cercle restreint, et de s'appuyer sur leur compétence. Comme Andrea, il s'interroge sur l'intégration si rapide de Nicholas au groupe des décideurs. L'état d'urgence étant toujours bien réel, il est normal que Rick reste le chef de la communauté du fait de ses capacités à en assurer la meilleure sécurité possible. Par contre, l'intégration de Nicholas renvoie à la parabole des ouvriers de la onzième heure, ainsi qu'à l'efficacité d'une revendication. Finalement, cet individu n'a fait que se plaindre de manière destructive et le voilà intronisé dans le cercle des décideurs. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver cette décision injuste, ou bien y voir une fine manœuvre pour éviter que Nicholas ne recommence manigancer dans le dos de Rick et de ses proches. Quoi qu'il en soit, ce choix est évidemment de nature politique, et il rappelle que tous les membres de la communauté ne pensent pas à l'identique.


Dans ce premier épisode, Carl Grimes continue à conserver une importance de premier plan. Dans le tome précédent, le lecteur avait éprouvé l'impression que le scénariste l'utilisait comme moyen de torturer mentalement son personnage principal. Il s'interroge sur le sens à donner à cette scène au cours de laquelle Rick essaye de se rapprocher de son fils, et ce dernier établit clairement son autonomie émotionnelle vis-à-vis de son père. Charlie Adlard réalise une scène dont il a le secret : la chambre est plongée dans le noir car ça se passe le soir, et les ombres mangent une bonne partie du visage des 2 personnages. Dans la première partie de cet épisode, ses dessins rendent compte de la banalité des éléments (les pavillons, le van utilisé par l'équipe de récupération, les vêtements fonctionnels), il réussit une très belle mise en scène pour Andrea quand elle s'adresse à son objet transitionnel, même s'il dramatise son langage corporel en exagérant ses mouvements.


Mais, comme l'indique le titre de ce tome, Robert Kirkman n'a aucune intention de s'en tenir à une intrigue plan-plan de reconstruction progressive d'une société agricole. Déjà la communauté d'Alexandria va se retrouver confrontée à un nouveau contact avec une autre communauté. Robert Kirkman a établi à plusieurs reprises que la prise de contact en elle-même constitue une phase décisive pour la suite, et aussi dangereuse que complexe. La prise de contact avec l'envoyé de la Colonie d'Hilltop ne déroge pas à la règle. Rick Grimes et les autres savent ce qu'ils ont à perdre. Ils n'ont aucune possibilité d'avoir une assurance sur ce qu'ils pourraient éventuellement gagner, ni sur la réalité de ce que raconte l'envoyé. Lors de sa première apparition, les dessins de Charlie Adlard montrent un individu aguerri et très compétent. Il neutralise facilement plusieurs personnes, sait se battre, et développe un argumentaire en béton. En face, les dessins montrent Rick Grimes en mode paranoïaque. Son visage est fermé et dur comme de la pierre, en disant long sur sa conviction qu'il s'agit d'une arnaque pour piller la communauté d'Alexandria. Les visages des autres autour de lui indiquent clairement qu'ils estiment que ses précautions sont disproportionnées par rapport au risque potentiel. Scénario et dessins sont en phase pour montrer en quoi la façon d'agir de Rick Grimes conduit à une impasse : Paul Monoroe ligoté sur une chaise et mis au secret dans une pièce sans fenêtre. Le lecteur voit l'absurdité de la situation, tout en éprouvant de l'empathie pour Rick Grimes et en approuvant sa façon d'agir. Les précédentes rencontres avec d'autres groupes ont prouvé encore et encore que pour survivre tous les coups sont permis, à commencer par exterminer les autres.


Robert Kirkman se montre encore plus retords que d'habitude car Rick Grimes et les siens gardent l'avantage tout du long de cette prise de contact, et donc il leur appartient de décider du prochain coup, de conserver cet avantage tactique et d'en tirer profit. Toujours aussi sadique avec ses personnages, il les replace dans une situation impossible quand ils arrivent finalement devant cette autre communauté, fortifiée comme il se doit. À nouveau, il faut choisir que faire, que décider, en disposant de l'avantage du premier coup, mais pas de celui du choix du terrain ou du nombre. Cette situation permet au scénariste d'enfoncer le clou encore plus loin. Ça ne rate pas, l'un des membres de la troupe de Rick doit se défendre d'une agression d'un des membres de la nouvelle communauté, et ça se passe très, très mal. Charlie Adlard s'en donne à cœur joie dans la mise en scène réaliste de ce combat à l'arme blanche. Les 2 adversaires pataugent maladroitement dans la boue, s'en retrouvent maculés après avoir chuté. Une blessure au couteau provoque un épanchement de sang sur le visage de l'autre qui ne peut pas s'écarter à temps. Le lecteur se retrouve presqu'à sourire devant tant de maladresse, devant un combat si malhabile. Dans le même temps, l'absence de d'exagération romantique dans cette représentation ajoute du crédit à son déroulement, et la rend d'autant plus pathétique et plausible.


Robert Kirkman appuie également là où ça fait mal avec la composition du groupe qui est dépêché pour aller vérifier les dires de Paul Monroe. Les membres de la communauté, ou plutôt Rick Grimes doit décider qui fait partie de l'expédition de reconnaissance, vers la colonie Hilltop. Sans présager de la suite, il est évident que diviser les forces de la zone Alexandria constitue une prise de risque non négligeable, et qu'il n'y a pas de tant de personnes que ça capables d'assumer les responsabilités assumées par Rick Grimes, et un ou deux autres. Comme souvent dans ce genre de phase narrative, Robert Kirkman utilise avec largesse les dialogues plus ou moins conflictuels entre 2 personnages. Le lecteur s'est habitué aux gros plans de Charlie Adlard sur les visages des personnages, leur regards graves et pénétrés, leurs expressions plus ou moins nuancées, plus ou moins parlantes. Le scénariste et le dessinateur estiment que lors d'une conversation, l'individu doit être concentré sur son interlocuteur, ne regarder plus que lui. Cela confère effectivement une forme d'intensité aux échanges verbaux, contraignant le lecteur à regarder celui qui parle en face. Ce choix narratif rappelle également que dans la vie réelle, la communication ne passe pas que par les mots ou par le langage corporel, mais également par une multitude signaux qui viennent renforcer ce qui est dit, ou au contraire le contredire, en tout cas apporter des nuances. Le choix narratif des auteurs fait sens, mais en même temps il conforte le lecteur dans l'idée qu'ils restreignent sciemment leur champ de communication pour appuyer leurs effets.


Pourtant la lecture de ces épisodes ne donne pas une impression de pauvreté visuelle. Charlie Adlard reste impressionnant d'efficacité dans sa narration visuelle. Il maîtrise la forme des tâches noires irrégulières pour rendre compte de tout un tas de chose. Il en fait un usage plus raisonné, évitant de noircir ses cases à tire-larigot, pour leur donner plus de poids. Il se sert de ces zones noircies pour rendre compte de la luminosité, et d'une certaine manière des ombres portées (plus ou moins exactes d'un point de vue géométrique). Il laisse également un peu de marge à Cliff Rathburn pour qu'il accentue discrètement les effets lumineux sur les surfaces, en ajoutant un peu de relief, en faisant varier le niveau de gris. De séquence en séquence, le lecteur se rend compte de l'impressionnante dextérité avec laquelle le dessinateur rend compte de différentes textures. Il y a les plis dans les vêtements qui sont de forme différente en fonction de la nature du tissu. Il y a ces quelques traits secs sur le col du blouson de Rick Grimes, qui donnent l'impression de pouvoirs en toucher les poils synthétiques. Il y a la tension du pantalon de Paul Monroe, alors qu'il se tient débout les jambes un peu écartées pour observer la communauté d'Alexandria aux jumelles.


Dans le dernier tiers du tome, il pleut dru sur la région. Avec les images le lecteur croirait entendre les gouttes s'écraser sur le capot de la voiture, et légèrement rebondir. Il voit leur impact sur le parebrise, là aussi lui évoquant le regard dans le vague qu'on peut avoir en voiture en regardant la pluie frapper les carreaux. Quelques pages plus loin les personnages doivent descendre de voiture et patauger dans la boue pour pousser leur véhicule. Le lecteur se rend compte qu'il peut voir la viscosité de la boue comme s'il pataugeait lui aussi dedans. Lorsqu'il se remet à pleuvoir, la pluie aplatit les chevelures en train de prendre l'humidité de manière naturelle. Les dessins de Charlie Adlard présentent une dimension tactile très convaincante.


En prenant un peu de recul, le lecteur prend aussi conscience de la manière dont les dessins l'emmènent dans les environnements où se trouvent les personnages. Il a pris l'habitude de déambuler dans les rues de la zone Alexandria, s'y sentant en sécurité, comme les autres personnages. Il effectue avec eux le tour du périmètre de la zone, à l'extérieur, appréciant l'efficacité du cordon de protection qui a été dressé avec des carcasses de voiture pour empêcher un nouveau déferlement d'une horde de zombies. Il tourne la tête dans tous les sens comme les personnages pour essayer de détecter le signe d'une présence hostile aux abords de la palissade de protection de la zone. Toujours avec eux, il ouvre grands les yeux pour observer tous les détails dans la colonie Hilltop. Derrière une apparence parfois grossière, les dessins immergent bel et bien le lecteur dans ce monde aux côtés des personnages. Un autre exemple très étonnant de cette familiarité avec l'environnement se trouve dans les zombies eux-mêmes. Comme les protagonistes, le lecteur ne fait plus trop attention à eux. Ils font partie du décor, et il suffit d'un coup d'œil pour jauger de leur distance, et leur flanquer un coup dans le crâne pour les stopper. Mais s'il recommence à y prêter attention, le lecteur se rend compte que ces zombies sont plus grotesques qu'effrayants, des baudruches répugnantes, peu inquiétantes.


Cependant comme d'habitude, l'attention du lecteur est plus accaparée par l'intrigue que par les qualités de la narration visuelle. Il se trouve pris au dépourvu en voyant que Robert Kirkman ouvre son récit vers une direction aussi évidente qu'inattendue. En plus des thèmes habituels (planifier la survie, établir un mode de gouvernance adapté à l'urgence, continuer à vivre malgré tout), le scénariste passe à un palier supérieur. Il ne s'agit plus de savoir s'il est possible d'intégrer une poignée de survivants de plus, ou de s'intégrer à une communauté déjà existante. Il s'agit de repenser la coexistence d'au moins 2 communautés, le commerce, d'envisager une forme d'interdépendance. Le lecteur éprouve comme une bouffée d'air frais devant l'ouverture de la thématique de la survie, tout en sachant pertinemment que cela s'accomplira dans la douleur et la souffrance, sans parler de la mort de compagnons de route.


Encore une fois, Robert Kirkman & Charlie Adlard transportent le lecteur dans ce monde post apocalyptique, avec une simplicité aussi déroutante qu'efficace. Une fois de plus, ils évoquent les questions de survie présente depuis le premier tome, mais toujours en y apportant un point de vue supplémentaire, à défaut d'être entièrement neuf.

Presence
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le 22 juil. 2019

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