Vanikoro (aujourd’hui Temotu) est le nom d’une île dans l’océan Pacifique, dans l’archipel des îles Salomon. C’est là que l’expédition Lapérouse aurait fait naufrage lors d’une tempête, en juin 1788. Il semblerait cependant que des survivants se soient organisés pour subsister et tenter le retour au pays. Malheureusement, aucun n’est jamais reparu en Europe.
Un cahier de 16 pages en fin d’album en témoigne, Patrick Prugne a fait le déplacement pour s’imprégner de l’ambiance du lieu, observer des objets attestant de la présence de quelques explorateurs là-bas, ainsi que de témoignages oraux qui donnent des indications sur comment les choses ont pu se passer. Les Français survivants ont donc rencontré d’autres êtres humains sur place, l’illustration de couverture ne laissant aucun doute là-dessus. À partir de ces quelques données, le dessinateur a fait travailler son imaginaire pour produire cet album.
Un voyage périlleux
Tout a commencé le 1er août 1785, quand les deux frégates nommées L’Astrolabe et La Boussole quittent le port de Brest. La Boussole (navire amiral) est commandée par le comte de Lapérouse qui dirige l’expédition. Une expédition destinée à compléter les découvertes de James Cook dans le Pacifique. Ainsi, parmi les survivants échoués à Vanikoro (sur 220 marins, matelots et scientifiques partis de Brest) se trouve un botaniste qui ne réalise pas vraiment quels dangers il court en voulant explorer la jungle qui couvre l’île. On notera au passage que lors du naufrage, les marins qui s’en sortent (ayant survécu à l’attaque de requins) échappent de peu à l’appétit de crocodiles… qu’on ne verra plus du tout par la suite.
Petit territoire, grands dangers
L’Astrolabe se serait fracassée contre la barrière de corail qui entoure l’île. Même destin semble-t-il pour La Boussole, quelques centaines de mètres plus loin. Toujours est-il que Patrick Prugne nous montre une poignée de survivants tenter de s’organiser pour subsister. Ils observent alors des natifs du coin détrousser les cadavres à leur portée. Mais ce n’est qu’un début, car les imprudents qui s’aventurent dans la jungle font de très dangereuses rencontres. Parmi eux, quelques petits malins s’avisent qu’ils pourraient escamoter à leur profit un coffre rempli d’or…
Une vision d’artiste
Avec cet album, Patrick Prugne interprète, avec une belle inspiration, un fait historique qui conserve sa part de mystère : la disparition du comte de Lapérouse, dont on perd la trace après le naufrage à Vanikoro. Le dessinateur précise bien qu’il interprète à sa façon les hypothèses émises à propos du destin de l’expédition. Peu importe à mon avis, car avec cette BD (84 planches), Patrick Prugne trouve surtout un site qui lui convient à merveille. Ainsi, il dessine avec maestria la jungle et la mer, avec des nuances de couleurs remarquables, notamment pour la faune et la flore qui sont un enchantement pour l’œil. Il soigne particulièrement les jeux de lumières en fonction de l’éclairage du soleil, des ombres et des effets de brume. Sans oublier cet oiseau typique de l’île qui joue un rôle bien particulier dans l’intrigue, ce qui lui permet d’intégrer avec intelligence les croyances indigènes. Son dessin lui permet également de retranscrire avec bonheur une ambiance qui mêle aventure, exotisme, angoisse et grand air. Il exploite aussi à la perfection une situation qu’il affectionne particulièrement : nous montrer par un cadrage bien choisi, une situation menaçante par un détail que les protagonistes menacés ne voient pas encore. Autant dire qu’il maîtrise de belle manière l’art de la composition picturale, car on sent que chaque situation présentée est mûrement réfléchie. Ce qui ne l’empêche pas de faire sentir les mouvements et de ménager quelques surprises bien senties. Il varie de façon très judicieuse les tailles et formes de ses cases, n’hésitant pas à l’occasion à présenter des vignettes de grandes tailles qui aèrent un récit où la progression dramatique va largement au-delà de la simple réussite esthétique. Par contre, la BD se lisant assez rapidement, on ne peut pas s’empêcher de considérer que, finalement, l’artiste ne s’écarte pas foncièrement de toutes les péripéties classiques de ce type d’aventures maritimes et exotiques. Petit regret donc sur l’épaisseur de l’album qui mériterait davantage de développements pour une aventure étalée sur des mois. Enfin, je remarque une conclusion assez étonnante qui éveille en moi l’écho d’une lecture marquante, L’ancêtre de Juan José Saer, pour montrer que la confrontation sanglante entre les européens et les « sauvages » du coin n’est pas une fatalité.
Pour aller plus loin
Cette BD étant un vrai plaisir pour les yeux, je note avec beaucoup d’intérêt que l’album donne, en page de garde, les coordonnées de la galerie Daniel Maghen, rue du Louvre à Paris. Renseignements pris sur le site Internet, cette galerie présente un programme qui se renouvelle avec les parutions d’albums. Ainsi, dans la mesure du possible, la sortie du prochain album de Patrick Prugne mériterait une petite visite à cette galerie. En effet, le dessinateur travaille en aquarelliste de talent, et voir ses planches en grand format ne peut que mériter le coup d’œil.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné