Vince Taylor n’existe pas.
C’est en tout cas ce que veulent faire croire Maxime Schmitt et Giacomo Nanni.
Le premier est bien connu des amateurs de musique, guitariste de Vince Taylor et d’autres, producteur de Jacques Dutronc, Francoise Hardy ou Taxi Girl et même parolier pour Kraftwerk, il avait publié en 2003 Face B, rempli d’anecdotes sur la musique et la culture de ces époques.
Son album (dessiné) pourrait être un hommage bienveillant à Vince Taylor, ce rockeur anglais qui se faisait passer pour américain, signé en France chez Barclay et qui déchaînait les foules dans les années 1960. Avec ses airs à la Elvis Presley, ce blouson noir un peu voyou était la face un peu plus sombre d’un rock en France un peu trop policé, à l’image de l’enthousiasme juvénile mais assez innocent de Johnny Halliday.
Alors Maxime Schmitt pioche dans sa vie, en ressort les histoires connues, les anecdotes, les rumeurs, mais n’hésite pas à inventer, à broder un portrait assez peu flatteur de Brian Maurice Holden, son vrai nom. Mais pourtant terriblement charismatique, car malsain.
En créant le personnage de Loulou, jeune groupie taiseuse mais qui écoute, Vince Taylor se livre, se raconte, et se perd. Il ressort le fil de sa vie, l’entortille, pour ne plus qu’en faire un sac de nœud. Persuadé d’être un grand du rock, pillé par tous, jamais accepté comme il devrait, il rencontre les plus grands, de près ou de loin, des Beatles à Gene Vincent, Bob Dylan, David Bowie ou Elvis Presley, n’hésitant pas à les bousculer. Revendiquant même une part de responsabilité dans leur mort.
Ses paroles sont dures, parfois racistes ou homophobes. Mais sa logique s’amenuise, il digresse, philosophe ou rage, dans un flot de paroles un peu décousu que Maxime Schmitt propose avec une verve assez noire et entraînante. Avec lui, Vince Taylor se confond avec son surnom de « l'Archange noir du rock ».
Il est d’abord représenté jeune minaud, puis progressivement la noirceur de son costume semble s’immiscer physiquement en lui, ses cheveux noirs poussant, le regard lourdement cerné, pour finir en messie christique allumé, après un passage à l’hôpital psychiatrique. C’est à l’italien Giacomo Nanni qu’est confié l’illustration de ce rockeur ambigu, un dessinateur de plus en plus apprécié ces dernières années.
Avec Vince Taylor n’existe pas, la couleur non plus n’existe pas, pour un noir et blanc du plus bel effet. L’auteur use de stylisations sobres pour décrire cette période mais assez évocatrices, son Vince Taylor est de plus en plus marqué par la désillusion ou la folie, difficile à déterminer, et le résultat est glaçant et inquiétant, il a le regard profond qui vous vrille les entrailles. L’auteur use de plus d’un système de tramage assez poussé, qui offre à l’oeuvre une texture bien spécifique, assez sombre, mais qui pourra rappeler aussi certaines illustrations éditées en couleurs de cette époque, avec leurs gros points. Le livre est ainsi à la fois vintage, dans une certaine modernité, mais aussi d’une modernité glaçante dans son noir et blanc tramé et ses représentations évocatrices.
Ce qui est vrai, ce qui ne l’est pas, peu importe. Avec Vince Taylor n’existe pas, les deux auteurs offrent une biomenteuse réjouissante, un peu voyou, assurément iconoclaste, qui vibre comme un bon vieux rock un peu sale et arrogant, sans préciosités.
Pour ceux qui voudraient creuser le sujet (passionnant) de l’oublié mais intriguant Vince Taylor d’autres ressources existent. Dans le domaine de la bande dessinée, Arnaud Le Gouëfflec et Marc Malès ont publié chez Glénat en 2018 une biographie romancée sur le personnage : Vince Taylor, l’ange noir.
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