Le septième et dernier épisode de cette série commence très mal pour Amos qui croupit en prison. Une situation qui ne doit rien au hasard et qu’on peut considérer comme révélatrice sinon symbolique. En effet, Amos n’a fait que ruer dans les brancards depuis longtemps, tout cela pour se retrouver dans une sorte d’impasse. Même s’il ne restera pas en prison, il se trouve prisonnier de sa condition d’héritier de la nation indienne et descendant de Celui qui est né deux fois. Sa seule porte de sortie est d’accepter son héritage culturel et personnel, avec le don qu’il porte en lui et la mission transmise par son ancêtre. Erik son ange gardien se trouve là à point nommé pour le guider. Un des points forts de l’épisode réside dans le fait que Derib donne un rôle fondamental à Erik tout en préservant une large part de mystère autour de son personnage : un homme, un esprit, la matérialisation d’un esprit, la conscience d’Amos, un peu de tout cela ?


Les interventions d’Erik sont donc déterminantes et permettent à Amos de trouver sa voie en comprenant le lien puissant qui l’unit avec les forces de la nature. Il finit par oublier son ressentiment vis-à-vis de son père, grâce à des visions qui ressemblent fortement à celles qu’avait son ancêtre Celui qui est né deux fois. Erik lui annonce qu’il a rencontré le souffle de Wakan-Tanka, le créateur, le grand esprit. Il l’exhorte à cesser de se battre contre lui-même « Wakan-Tanka t’apporte un peu de paix pour que tu puisses surmonter les difficultés que tu vas encore rencontrer… »


Marqué par de nombreuses péripéties et des détails marquants, l'ultime épisode de cette série ambitieuse (qui évoque le destin de la nation indienne avec l’évolution de ses conditions de vies, ses pratiques et croyances en lien direct avec les forces issues de la nature), Wakan permet à Derib de boucler la boucle, malheureusement sans convaincre parfaitement. Tout cela parce qu'il transmet un message de paix et de fraternité universelles qui tend à contredire le contenu de la série (pas seulement de l'album en particulier). Que l'intention du dessinateur soit dans la lignée de la non-violence prônée avant lui par le mahatma Gandhi, on ne peut évidemment pas le lui reprocher. Mais il a illustré la conquête du territoire Nord-Américain par les colons blancs, avec une mise à l'écart impitoyable de tous ses natifs, les Indiens d'Amérique. Il a montré combien cette avancée était inéluctable par l'avantage du nombre et des intentions de possession d'un territoire considéré comme vierge. Avantage renforcé par la possession d'armes contre lesquelles les indiens ne pouvaient pas lutter, en particulier pour la sauvegarde des bisons qui leur fournissaient naturellement leur nourriture ainsi que des peaux, etc. La non-violence a malheureusement montré ses limites et les indiens de la génération d'Amos vivent à peine mieux que des esclaves, parqués dans des enclaves, soumis à la civilisation dominante. Une réalité détaillée dès le quatrième album de la série, celui qui marque le début de la deuxième époque, centrée sur Amos.


61 planches (la dernière, double et non numérotée, datée du 20-04-1998), pour une conclusion qui alterne de bons moments et d’autres moins convaincants. Concrètement, cette deuxième partie de la série est celle du désenchantement, la nation indienne ne faisant quasiment plus que subir la domination des descendants des colons blancs. Si certaines et certains imaginent des moyens de résister à cette domination, on sait bien que toutes leurs tentatives sont vouées à l’échec. Même pour le lecteur, la première partie (les trois premiers albums) fait beaucoup plus d’effet, parce que l’action se passe au milieu des indiens, en pleine nature. A partir du quatrième album, si les chevaux servent encore à l’occasion (les rodéos ne sont plus que des spectacles sans vrai rapport avec la réalité), les voitures les ont remplacés. Les bisons ne peuplent plus que certains rêves d’Amos et on peut s’attendre à ce que ses descendants aient de plus en plus de mal à faire le lien entre ce qu’ils vivent et les forces éternelles dégagées par la nature.


Le style Derib est toujours bien là, inimitable, avec des couleurs que nous lui connaissons bien, éclairées par les visions d’Amos. Le scénario est clair, malgré les apparitions toujours surprenantes d’Erik. Et Derib est un maître quant au langage propre à la BD. Les planches sont un modèle d’organisation, toujours au service de la narration. Découpage très classique quand rien ne nécessite davantage, utilisation de tous les espaces avec bonheur dès que le besoin s’en fait sentir, avec une vignette ronde pour mettre en valeur un visage, une autre qui va jusqu’au bord de la page et certaines qui se chevauchent, formes et tailles diverses avec un grand naturel, jusqu’à des planches doubles pour bien mettre en valeur le paysage. Le dessin reste du pur Derib, pas trop fouillé mais suffisamment précis, en particulier pour donner de la vie à ses personnages. Le dessinateur installe bien certaines tensions et décrit inlassablement la nature, avec des couleurs bien trouvées même si toutes les visions sonnent de façon un peu naïve avec des couleurs qui accentuent cet aspect par moments.


Ultime révélation d’Erik, le soir au coin du feu « Chacun de nous doit suivre une route, Amos. La tienne est Canku Luta Wakan la voie sacrée… »

Electron
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le 9 févr. 2018

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