Un bon épisode qui sans être honteux n'est pas le meilleur de la période "Pilote" de la saga. Il mérite néanmoins une analyse approfondit du fait que son récit construit sur le principe d'une mise en abime constitue une réponse originale au phénomène d'usure du schéma héroïque auquel se confronte les récits pour la jeunesse au tournant des année 60/70.
Une fiche de lecture pour creuser l'idée.
Bonne journée à tous.
Titre : Western circus
Série : Lucky Luke
Auteur : Morris et Goscinny
1ère publication : « Pilote » 1970
Publication album : Dargaud
Ouvrage d'étude utilisé : Réédition Dargaud 1990 (sans modification).
Éléments de critique externe :
Album de la série publié dans la revue « Pilote » et en album par Dargaud après le départ de la série de la maison « Spirou » Dupuis en 1968.
Ce changement d'éditeur correspond à une évolution du contenu du discours de la série. En effet si « La diligence » est encore conforme au schéma précédemment utilisé de démarque parodique du western filmé les épisodes suivants de s'attachent de plus en plus à développer l'univers de la saga comme un ensemble autonome.
Éléments d'analyse :
Maintien de la référence westernienne :
Comme pour plus tard « Canyon Apache » et « Le chasseur de primes » les auteurs s'attachent à maintenir le lien entre leur saga et le modèle de référence du western filmé.
– La fond dramaturgique correspond à un standard du western la rivalité entre deux clans pour le contrôle d'une ville, on pense entre autres à l'événement largement, adapté au cinéma, de règlement compte à OK corral.
– Le rodéo correspond également à une image traditionnel de l'ouest américain.
– La présence d'un cirque au far west peut se rattacher aux troupes de saltimbanques qui arpentaient l'ouest américain et dont le cinéma s'est fait largement l'écho et dont la saga se fait l'écho de temps à autre (« Le pied tendre ») avant de leur consacré l'aventure du « Cavalier blanc ».
– La création finale d'un spectacle combinant cirque, rodéo et indiens fait bien sur référence au Wild west show de Buffalo Bill qui fut le principale créateur de la mythologie du far west qu'il diffusa dans l'est des USA et en Europe au début du XX°siècle et dont le Lucky Luke représente l'ultime avatar.
– On constate le maintien d'enjeux dramatiques typiquement westernien comme la menace indienne associé à l'intervention providentiel de la cavalerie.
Éloignement de la référence westernienne :
Si l'ensemble des caractéristiques du western sont maintenu c'est au prix d'un détournement burlesque qu'accroit la démultiplication du jeu de la représentation.
Détournements burlesques :
– Potentiellement tragique l'affrontement de Zilch et Mulligan tourne rapidement à la bouffonnerie l'enjeu n'étant pas l'assouvissement d'une vengeance ou l'établissement d'une domination politique mais l'organisation de festivités de Fort Coyote, l'arrivée du cirque (Mulligan) concurrençant le potentat local organisateur de rodéo (Zilch).
– Les situations dramatiques se transforment aussi rapidement en spectacle que l'inverse :
– L'attaque du cirque par les indiens se poursuit par une représentation (P 8,9,10) interrompu par une reprise de la guerre (P 10,11) interrompu par l'arrivée de la cavalerie (qui intervient à la manière des carabiniers d'Offenbach) avant de se conclure par une nouvelle représentation (P12).
P12 1/1,2 :
Vanessa Mulligan : « Ah, messieurs ! Comment vous remercier ?
Lieutenant de cavalerie : Mais... Mais c'est notre devoir, Madame.
Mulligan : Je sais moi ! Nous allons vous offrir une représentation de gala ! Nous venons de finir la matinée, la soirée va commencer ! »
Cette constante transition du tragique vers le comique se renouvelle tout au long de l'album :
P17-19 la parade du cirque interrompu par Zilch dans la grande rue dégénère en course poursuite avant de finir en triomphe pour Jolly Jumper.
P 19 1/1 :
Lucky Luke : « Tu as l'air d'aimer les acclamations hein, vieux cabot ?
Jolly Jumper : Pourvu que je puisse préserver ma vie privée ! »
P 21-25 le redoutable tueur à gage Rattlenake Joe (au comportement et à l'aspect caricatural) est transformé en marionnette grotesque.
P 26-31 la chasse au lion se conclut de manière bouffonne par le capitaine Muligan qui salut en direction du lecteur qui figure le public.
P 44-45 L'attaque du rodéo par les indiens abouti à la création d'un spectacle original promis à un grand avenir.
P45 3/1 :
Jules Framboise : « Je suis impresario. J'engage toute la troupe pour une tournée triomphale à Paris et dans toute l'europe ! »
Jeu de miroir :
Par-delà la dénonciation parodique de la mythologie westernienne c'est à une réflexion sur les mécanismes d'identifications à la fiction graphique qui est proposé aux lecteurs.
En jouant sur la confusion de signes comme le maquillage du clown et les peintures de guerre des indiens et en représentant les clichés du western sur la forme d'un spectacle (P45 1/1), les auteurs opère une nouvelle mise à distance non plus tellement vis à vis d'un récit de référence comme le western filmé US mais vis à vis de la logique d'identification du récit lui-même.
Par ailleurs on constate que les auteurs se livrent à un jeu d’auto-citation en présentant un de leur personnage fictif antérieur (la chanteuse de saloon Lulu Carabine présente dans « Dalton City ») comme un personnage historique réel :
P 40 1/3, 2/1 :
« Le saloon ne désemplit pas, Zilch a même engagé le troupe de Lulu Carabine... // La notoire Lulu Carabine dont le nom chante dans le firmament de la légende de l'ouest, car on dit que Joe Dalton l'a passionnément aimée... »
Procédé que les auteurs ont déjà pratiqué plusieurs fois avec le principe des portraits de fin d'albums illustrant la postérité de personnages de l'aventure ( cf : « Les rivaux de Paintful Gulch » , « Les collines noires ») mais illustrant un processus exactement inverse il s'agissait alors de crédibiliser l'histoire raconté en l'intégrant dans l'histoire, la présentation de Lulu Carabine témoigne du processus inverse, elle sanctionne l'autonomisation de la fiction qui utilise son propre corpus de référence.
Le dessinateur Morris s'incarne lui-même dans le personnage de l'imprésario français Jules Framboise outre que le personnage ressemble, en plus âgé, à la caricature que Franquin avait fait de lui dans une des première aventure de Spirou et Fantasio, ses première parole lève toute ambiguïté en faisant allusion au véritable nom de Morris Maurice de Bévère.
P 41 1/ 2 :
Jules Framboise : « Je ne bois que du château de Bévère 1837 [...] »
Il semble qu'il s'agisse là d'une citation de genre private joke destiné essentiellement aux initiés (collègues) d'un style similaire à celles qu'effectuait Hergé et E.P. Jacobs en se dessinant parmi les invité du roi de Syldavie (« Le sceptre d'Ottokar ») ou les momies du tombeau des pharaons (« Les cigares du pharaon »), mais un tel clin d'œil reste cohérent avec le style parodique du propos.