L’explication concernant le titre étant placée en exergue de la BD, on peut dire que, d’une certaine manière, Simon Roussin nous prévient, avant même de commencer son histoire. En effet, cette petite phrase est extraite de Légendes du Guatemala (1932), de Miguel Angel Asturias, prix Nobel de littérature 1967. Toujours est-il que le dessinateur s’arrange pour donner un étonnant tour fantastique à son histoire.
Celle-ci commence en 1931, à Maracay (Vénézuela), alors que la glorieuse épopée de l’Aéropostale est sur le point de prendre fin : « De Toulouse à Santiago du Chili, en passant par Casablanca et Buenos Aires, la légendaire compagnie aérienne étend son réseau sur plus de 17 000 km. 80 pilotes, 250 mécaniciens : au total 1 500 employés dans 25 pays travaillent au passage du courrier de jour comme de nuit, par tous les temps, souvent au péril de leur vie. Entre 1919 et 1933, 121 hommes disparaissent dans les brumes des Andes, au-dessus de l’océan ou du sable jaune d’Afrique. »
Andy et Eddie
Quelques péripéties permettent de faire la connaissance de deux amis pilotes : Eddie et Andy (André Tonnerre), qui doit son visage couturé de cicatrices à un terrible accident. Alors qu’ils font la fête, celle-ci est troublée par une histoire de femmes (irruption de Paloma, la « légitime » d’Eddie, veuf de Katherine du temps où il vivait en Arizona). D’une autre mission, Eddie revient avec Trudy Blum, une ethnologue à la recherche des Cuappachpapalotl, indiens vivant à la frontière mexico-guatémaltèque, dans la jungle épaisse, ancien territoire Maya. Ces indiens auraient échappé aux investigations espagnoles et resteraient à l’écart. Trudy cherche à récupérer le matériel d’un ami ethnologue brésilien récemment décédé, qui lui a légué son matériel, ses livres et ses cartes.
Le drame
Après une nuit de repos au sol, un orage donne l’occasion à Eddie d’évoquer des croyances locales en rapport avec les morts. Pour le retour à Maracay, Eddie et Andy vont véhiculer les frères Gus qui annoncent voyager pour affaires. En réalité, ils cherchent un homme : une photo qu’ils montrent à Eddie mais pas à Andy. Paloma passe enfin une nuit avec Eddie, mais c’est l’ultime, car ce dernier ne se réveillera jamais.
Au-dessus puis en pleine jungle amazonienne
Bien qu’effondré, Andy entreprend de rapatrier le corps de son ami en Arizona. Pour cela, il emprunte un Laté (avion modèle Latécoère) de la compagnie, pour emmener Trudy qu’il déposera à Vera Cruz, les frères Gus qui vont au Mexique, ainsi que le cercueil contenant le corps d’Eddie que Paloma accompagne (ce sera son baptême de l’air). Au cours du voyage, la fatigue l’emporte et l’avion se crashe en pleine jungle. Parmi les rescapés, André est le plus mal en point, car ses cicatrices se sont rouvertes (il finira avec un masque). L’accident a alerté des indiens, mais ils s’évanouissent rapidement dans la jungle. C’est alors qu’apparaît un personnage étonnant : un blanc qui semble bien connaître les indiens, car il affirme d’emblée « Les indiens ne s’approchent pas des ruines. Le bruit du vent dans les pierres leur fait croire qu’elles sont hantées. » L’homme dit s’appeler James et il vit avec Helen, dans un village de huttes qu’il dit situé quelque part au nord de la frontière entre le Mexique et le Guatemala. André reconnaît Helen (Mrs. Robinson), mais il préférerait qu’elle ne le reconnaisse pas. Pour cela, il demande aux autres de ne plus l’appeler André, mais Andy. James a suivi Helen qui s’est installée ici pour fuir la civilisation. Elle passe ses journées dans la jungle, à l’extérieur du village de huttes. Helen, c’est le genre pour qui les hommes feraient n’importe quoi (dixit Paloma). Bien évidemment, le site enchante Trudy l’ethnologue qui va de découverte en découverte. Le passé d’André resurgit sous la forme d’une vieille photo où il pose avec Helen et Ferdinand Pépin, un vieil ami avec qui il a fait la guerre en France (1914-1918).
Mystérieux secret
La vie s’organise, avec quelques péripéties qui établissent une atmosphère bizarre. Ainsi, Trudy comprend peu à peu pourquoi Helen s’isole régulièrement en pleine jungle, malgré les dangers potentiels. Cela explique que ni James ni Helen ne veuillent quitter ce coin perdu (ils aimeraient voir leur secret préservé). Pensant toujours à enterrer son ami Eddie, André décide de trouver le moyen de partir par ses propres moyens. Mais son courage ne suffit pas.
Réalisme magique
Avec Xibalba, Simon Roussin propose un album où l’aventure prend des allures d’épopée, ce qui ne l’empêche pas d’utiliser le ressort de l’amour (accompagné de la jalousie, du remords, des souvenirs et de la nostalgie). Et il surprend, de péripétie en péripétie, allant jusqu’à proposer son approche du réalisme magique initié par l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez. Autant dire que le dessinateur se montre particulièrement à l’aise pour donner un tour fantastique à son histoire. Les signes s’accumulent jusqu’à produire une situation inattendue qui invitera les protagonistes à se positionner. Chacun chacune peut y trouver son compte, le tout est de savoir si le jeu en vaut la chandelle. Plus simplement, chacun.e choisira que privilégier dans la vie : côtoyer celles et ceux qu’on aime ou plus prosaïquement aller de l’avant. Finalement, même Andy qui ne pense qu’à retrouver la civilisation et aller au bout de son projet d’enterrer Eddie sur ses terres, acceptera de bon cœur de profiter à sa manière d’une situation qu’il ne comprend pas. D’ailleurs, à quoi bon chercher à comprendre ? Simon Roussin sait bien que le genre fantastique se passe d’explication. Il préfère – et comment le lui reprocher – exploiter la situation pour se faire plaisir. Alors, même si on peut regretter que son dessin néglige les corps et les visages de ses personnages (épuration du trait jusqu’à la stylisation, comme s’il se satisfaisait du simple fait qu’on fasse la distinction entre chaque personnage). Par contre, il soigne tout ce qui constitue l’atmosphère, que ce soit celle de l’album de manière générale ou celle de la jungle où l’irruption du fantastique arrive de façon assez naturelle. Pour ce qui est de l’album lui-même (208 pages non numérotées), le dessinateur prend son temps pour établir l’ambiance autour de l’Aéropostale et des hommes qui la font vivre. Ensuite, il fait sentir l’ambiance dans la jungle par des dessins pleine page (et même quelques doubles), qu’il affectionne puisqu’on en trouve tout au long de l’album. Il les compose comme un peintre sa toile (parfois à la manière impressionniste). On peut les passer rapidement parce qu’ils ne comportent pas de dialogue, mais ils peuvent se contempler (par exemple en deuxième lecture) et apportent une respiration propre à cet album où les révélations et péripéties s’enchaînent. L’ensemble est régulièrement à l’image de l’illustration de couverture, réussie, avec un dessin très lisible, et des couleurs qui se combinent bien : un magnifique bleu profond domine, bien mis en valeur par le jaune du titre (deux couleurs complémentaires), le blanc des éclairs apportant juste la luminosité pour mettre le tout en valeur. Dans l’album, en dehors du blanc, du noir et du gris, la couleur dominante est le plus souvent un brun-orangé (deux nuances) qui correspond à la végétation de la jungle. Enfin, quand l’occasion se présente, l’auteur glisse un clin d’œil. Les plus explicites sont pour Hergé (L’oreille cassée), Tardi (Le démon des glaces) ainsi que Simon and Garfunkel (Mrs. Robinson).
Critique parue initialement sur LeMagduCiné