Où il est question de lutte au Sénégal, où traditions et modernité se rencontrent pour raconter les ambitions et l'émancipation, où la gangrène du capitalisme vient exacerber les à-côtés parasites tandis que les acteurs principaux du spectacle s'y laissent presser. Le postulat de Yékini, le Roi des Arènes est riche et l'ouvrage l'est tout autant qui nous promène en
un Sénégal loin des cartes postales, de poussière et de sueur.
Entre documentaire et biographies, la fiction s'imprègne d'un réel empreint de magie pour une immersion africaine pleine d'enseignements. Malheureusement, le scénario s'éparpille parfois, trop souvent, et le dessin est d'une rare pauvreté, loin des exigences formelles de ce roman graphique où l'exigence s'essouffle.
L'on y suit Yékini et d'autres colosses de la lutte sénégalaise dont les carrières se croisent lors d'affrontements expéditifs au cœur de stades pleins à craquer. Leurs rêves, leurs impasses, leurs efforts et leurs échecs. C'est le combat des individus qui cherchent à exister dans un système qui ne survit qu'en les broyant dans la machine du spectacle, cette
métaphore de la surconsommation de l'éphémère.
C'est un peu le mythe de Sisyphe, remettre sur l'ouvrage toujours ses moindres accomplissements, comme si l'échec venait soudain effacer toutes les réussites, toutes les gloires passées. Ne nous y trompons pas, si le discours est doux amer, ce n'est pas face aux chemins de ces héros, mais bien face aux machinations dans lesquelles ils s'inscrivent, desquels ils ne peuvent s'échapper, face à cette société qui trouve la niche financière toujours pour exploiter le moindre divertissement de l'homme pour y sucer la moelle et jusqu'à la passion.
Malheureusement, le scénario se disperse, explore interludes et digressions, et y perd là le fond de son propos : à trop vouloir en dire, à chercher l'hommage aux hommes au moindre de leurs exploits, Clément Xavier amasse les séquences et y perd le lecteur. Il manque là la rigueur du choix à l'efficacité d'un discours finalement trop chargé.
Côté dessin, je n'accroche à aucun moment au travail de Lisa Lugrin : aplats de noir et blanc, reconstitution de couvertures de magazines, échappée de couleurs vives pour un comics dans le roman graphique. Encore une fois l'on s'y perd dans le foisonnement formel, et
le travail de fond manque de clarté.
Jusqu'aux traits si proches de personnages que l'on a souvent du mal à distinguer, notamment dans les séquences si essentielles de lutte. Le manque de lisibilité du scénario se prolonge, certainement de manière naturelle, à l'illustration. Et derrière la richesse des formes, mal exploitées, se perd la narration.
Yékini, le Roi des Arènes semble le fruit d'un impressionnant travail de recherche et d'un fastidieux travail d'écriture. Malheureusement, le résultat est loin d'être à la hauteur des espérances. Engluée dans l'absence de clarté du discours autant que du dessin, l'histoire ne décolle jamais :
secousses spasmodiques comme les sursauts du combattant
que l'on croyait prêt à se coucher au tapis et qui rattrape un rayon de gloire éphémère, le récit s'essouffle, cherche de l'air pour reprendre, s'attache à tenir le marathon mais sans autre forme de liant qu'une triste chronologie ne creusant jamais suffisamment ses effets là où les digressions viennent irrémédiablement perdre l'enchantement rare du lecteur.