À l’aune du nouveau millénaire, tout présageait le changement. Les attentes du plus grand nombre surtout. Aussi, quand durant cette année 2001, certains aiguisaient leurs crayons pour nous éberluer avec le Shônen nouveau que commandait l’époque – suivi de maintes promesses violées venues lui succéder – d’autres n’avaient pas pris tant de bonnes résolutions quand survînt le premier janvier.
« Je voudrais proposer quelque chose de nouveau et original » est un engagement qui, quand il se confronte à l’intégrité de certains mangakas, a un effet analogue à quelques gouttes d’eau bénite versée sur l’épiderme glacé d’un vampire.
Faut pas croire, blasé qu’on sera toujours à brasser dans les miasmes du Shônen contemporain – qui nous est contemporain depuis vingt ans déjà – mais se faire éditer ; qui plus est dans un périodique très en vue, au Japon, c’est un parcours du combattant. Il s’en trouve d’ailleurs ici ou là pour nous en conter le périple tant celui-ci est marquant au point de suggérer sa propre histoire à des lecteurs ingénus. Je ne suis pas ignorant de ces choses-là, et c’est en connaissance de cause que je déverse si volontiers le contenu de ma vessie sur un papier garni d’encre qu’on eut employé à un bien meilleur dessein. Et même à un bien meilleur dessin.
Y aller de son commentaire acide quant aux esquisses, à mon sens, revient très souvent à tailleur sur le physique. L’entreprise est d’autant plus mesquine qu’elle élude le contenu pour s’en prendre stupidement au contenant. Mais en des circonstances bien particulières, quand le physique est si disgracieux qu’il vous brûle la rétine, la mesquinerie tient alors lieu d’impérieuse nécessité. Qu’on m’excuse, moi qui ne sais pas dessiner un cercle sans bifurquer sur le polygone, si je m’attaque au trait d’un auteur qui en a fait le fondement de sa subsistance, mais nous ne pouvons pas décemment taire ce qui est constaté. L’éléphant est dans le couloir, le gros calibre sera de rigueur. C’est lui être charitable que de le dégommer.
Des traits aussi rupestre – avec toute la connotation que suppose le terme – j’en ai déjà vu ailleurs, presque identiques. Ils n’ont pas même l’excuse de l’originalité. Et pourquoi l’auraient-ils ? Une démarche artistique suppose la création ; or ici ne sera créé que de la valeur ajouté après que le papier, sali par le dessin de son auteur, soit commercialisé sur le marché de la nourriture porcine. Car il faut effectivement avoir le palet d’un goret pour croire pouvoir se gargariser de Zatch Bell!.
Vu ailleurs ces dessins ? Mais où ? Me demandera-t-on d’un air de défi. Voyez du côté de Beelzebub, de La Loi d’Ueki pour commencer. Mais il y en eu d’autres parus durant la même époque. De quoi conforter un lecteur de Shônens dans son désenchantement, hagard qu’il sera de contempler à quel point les œuvres sont usinées en série. Des yeux qui prennent la moitié du visage ou des proportions mal respectées parfois d’une case à l’autre, vous y aurez droit ; les produits de masse supposent en effet les malfaçons comptant parmi les grossières. Ce qui nous ramène au processus éditorial préalablement évoqué, celui-ci se voulant relatif à la publication d’un manga dans un magazine. Qui, de sain d’esprit, peut délibérément lire le premier chapitre de Zatch Bell! et voir s’illuminer dans sa boîte crânienne un feu vert ?
Trop souvent – et presque systématiquement – je vomis ces mangakas à succès qui avilissent sans vergogne un genre éditorial auquel ils ont la prétention de faire honneur. Du fait d’un manque d’ambition flagrant, appâtés qu’ils sont par la perspective d’une rente éditoriale, ils annihilent ce que le manga avait de créatif. Seulement, ces animaux-là, ils ont des gardes-fous ; leurs éditeurs. C’est à eux, en amont, de séparer le bon grain de l’ivraie. Les gardiens du sanctuaire, cependant, ont relâché leurs efforts pour laisser entrer les barbares dans la citadelle. La cause ? Une aboulie suggérée par le fric facile. Je l’ai dit et répété maintes fois tout en semant ici est là ma thèse dans quelques critiques, dont les plus corrosives, l’anéantissement de la qualité dans le Shônen ne tient pas au hasard ou à « l’ère du temps » - un temps qui n’en finit plus – mais à un calcul délibéré. En nourrissant ses pourceaux de lecteurs avec un contenu organique puisé dans le fond d’un intestin, un éditeur les accoutume ainsi à une pitance des plus indigestes pour ne plus leur proposer que ça. Cette mangeaille infâme a le mérite d’être facile à produire et aisément accessible. Aussi, la nullité devient la vertu cardinale d’une maison d’édition qui ne saurait plus tenir pour acceptable l’audace et la qualité (HxH). Pensez bien que si on leur donne à nouveau le goût de l’excellence à ces fumiers de lecteurs de Shônen… ils pourraient se montrer exigeants. Or, les bons auteurs, ça se prospecte. Le premier venu ne fait plus l’affaire. Voilà qui complique de trop les affaires de nos éditeurs. Dans les années 2000, c’est en ce temps-là que ça s’est décidé de ne plus usiner autre chose que du contenu excrémentiel afin que les lecteurs prennent le pli jusqu’à ne plus avoir que cela pour se sustenter. 2001, Zatch Bell! paraît comme l’un des premiers symptômes d’une maladie encore suffisamment discrète pour qu’on n’envisage pas encore le diagnostic.
Des auteurs qui, du manga, n’en avaient rien à branler mais comptaient bien en faire un gagne-pain, ça n’a rien de nouveau. Oubliez les récits mensongers de mangakas passionnés qui, pour beaucoup, publiaient pour la zeille. Je vais vous en faire revenir de vos illusions, vous autres aux joues roses et aux prunelles pétillantes. Ça aime bien Dragon Ball, hein ? Ça peut ; même que ça doit. Moi-même, je me trouve les genoux à terre et les mains jointes quand on évoque son seul nom. Monsieur Toriyama, c’était un passionné, hein ? Eh bien non. Il l’avait dit sans complexe, il s’était lancé dans le manga pour se payer ses clopes. Et ça se voyait ! Lui au moins l’avait assumé contrairement au ramassis de tartuffes qui vous parle de la beauté de l’art en se torchant avec leurs planches dans une même foulée. Dr. Slump était une immondice admise comme telle par son propre auteur. Pour continuer à palper, il s’est plus tard essayé à un autre titre ; une qui se voulait une histoire d’aventure – vous lirez ma critique de Dragon Ball pour tout savoir de l’affaire. Mais tout prévaricateur était-il ce bon monsieur Toriyama, il s’est trouvé derrière lui des éditeurs pour lui botter le cul en continu car ils avaient vu que le meilleur lui sortait du crayon. Akira Toriyama a détesté son œuvre phare, forcé qu’il fut d’en prendre soin. C’est à certains de ses éditeurs qu’on doit notre délice.
La génération d’éditeurs qui a succédé à celle-ci avait moins de scrupules et une meilleure connaissance du livre comptable que des mangas qui avaient pu leur passer entre les mains. La recette éditoriale des grandes maisons d’édition manga aujourd’hui ? Rien qu’un business plan. Je sais bien qu’on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche, mais la question de l’écriture a été abandonnée sur l’autel du profit. Un profit qui rapporte ; mais un profit qui a un prix.
Quant à un porc, on ne lui donne que le fond d’une fosse sceptique à manger, il tombe malade. De l’engouement pour des grands titres, il n’y en a plus. C’est encore pour cette raison qu’on maintient artificiellement en vie l’une des dernières œuvres du crétacé éditorial ; une qui était parue avant qu’on se décide à saboter tout ce qui se rapportait de près ou de loin à la qualité. Le fétiche d’une époque révolue.
C’est dans ce contexte qu’arrive Zatch Bell! ; comme un chien enragé dans un jeu de quilles. Le manga n’a rien à raconter, ce qu’il feint de narrer, il nous le dit très mal, et la vue de son lectorat ne pourra qu’être aussi insultée que son intelligence. Mais Amateratsu soit louée, de l’intelligence, le lectorat Shônen, il n’en a plus. Celui-ci mange par habitude, même lorsqu’il n’a pas faim. Et ce ne sont pas de pareils titres qui pourraient de toute manière lui ouvrir l’appétit.
Je pourrais vous le dire que les personnages sont insipides, je pourrais vous le répéter que les combats sont rapportés sans le moindre effort de mise en scène pour nous déballer un bordel ambiant qui n’engage pas à la lecture. Mais à quoi bon ? Car peut-être vous l’ai-je déjà écrit cent fois. Les Shônens actuels sont entre eux des contrefaçons qui ont oublié de singer l’œuvre originale pour imiter des copies. Copiez donc une photocopies dont vous ferez d’autres copies, répétez le processus inlassablement, puis constatez en bout de course ce qui s’affichera sur le papier : un rendu fade et illisible.
Du caractère, les personnages de Zatch Bell! n’en ont même pas en ce sens où leur personnalité n’est faite que de l’humeur que leur suggère l’instant donné. Exacerbée l’humeur, cela va de soi. De la retenue, ce serait trop demandé. La part belle est faite au déballage impudique de sentiments indexés sur des lieux-communs faisandés de trop avoir été exhibés ici et ailleurs.
L’humour ressemble à ce que quelqu’un ayant vu passer par inadvertance deux épisodes de Juliette je t’aime à la télé pourrait aboutir. C’est une parodie d’humour. De là, le sens de la comédie s’annule. La lourdeur accable trop vite avec un personnage principe exhibé comme une insupportable mascotte – à qui Umagon tiendra plus tard la dragée basse – dont on sent la portée marketing à travers chaque planche qui vient.
L’intrigue de Zatch Bell! ne sait jamais où elle va, mais s’y dirige pourtant d’un pas ferme et résolu, entraînant son lecteur dans des terrains vagues où rien ne se passe. Alors pour meubler le vide, on s’agite, on fait du bruit… la recette habituelle. C’est ainsi qu’improvisent piteusement les mauvais comédiens ; la manœuvre tient alors de la diversion. Une diversion continuelle et ininterrompue dont un lecteur avisé devrait en principe détourner le regard à force qu’on le prenne pour un imbécile. Cela… à moins d’avoir été précisément pris pour ce qu’il est.
Comme il n’y a aucune réelle volonté derrière l’œuvre autre que celle consistant à gonfler le porte-monnaie de son auteur, tout y sonne nécessairement faux. Les élans enthousiastes, les colères grandiloquentes ; du rire aux larmes, il n’y a rien d’authentique à voir. C’en est foncièrement gênant à lire. J’ai eu beau vomir les bons sentiments de One Piece – ou du moins leurs abus – mais jamais je n’ai nié leur existence ou leur sincérité originelle, nonobstant la niaiserie qui leur incombait bien souvent. Or, je préfère la candeur à la cupidité ; un idiot sincère m’apparaîtra toujours plus sympathique qu’un petit malin hypocrite.
Zatch Bell! cherche à être drôle en permanence sans que jamais – pas même une fois – un sourire ne vienne esquisser mes lèvres. Mes lèvres, après tout, elles étaient déjà bien retroussées tant je montrais les crocs devant chacune des planches qu’on me présentait. Lisez Zatch Bell! – ou parcourez-le plutôt – et dites-vous que tout ce que vous aurez eu sous les yeux sera passé sous le contrôle préalable d’un chargé éditorial venu approuver la légitimité de la parution. La honte, alors, se partage entre l’auteur et son éditeur.
Hiro Mashima, en tant que saint patron de cette génération d’auteurs-comptables, savait au moins plagier pour habiller et déguiser ses méfaits. L’illusion ne trompait pas un œil averti, mais la forfaiture était au moins travaillée. Makoto Raiku n’a même pas versé dans ce modeste effort, tout dolosif pouvait-il être, en se commettant une trentaine de tomes durant dans un crime où il fit verser de l’encre inconséquemment. Zatch Bell!, sur le plan éditorial, n’est pas une erreur, mais un préambule. Celui-ci s’accepte alors comme le coup de sifflet venu faire savoir aux pires mangakas amateurs que dorénavant, tout serait permis, à l’exception du meilleur.