Prévisible et envoûtant
Il s'agit d'un récit complet en 1 seul tome initialement paru en juin 2010, écrit par John Arcudi et illustré par Peter Snejbjerg. L'histoire s'ouvre sur une page terrifiante : une scène de carnage...
Par
le 22 sept. 2019
Par un hasard tout de même assez orienté par mon masochisme, il se trouve que j'ai lu cette bd puis enchaîné sur une énième version de Superman (Superman Kryptonite, c'est pas mal pour l'instant). Si je parle de masochisme, c'est que, comme beaucoup, je n'aime pas Superman: le boy-scout indestructible, sauveur de plusieurs univers, capable de vaincre n'importe qui, bon. Je dis "bon" pour ne pas être désagréable, mais dans ce "bon", il y a aussi la source de ma fascination malsaine pour le bonhomme en fer: premier super-héros "historique" (on sait grâce à Serge Lehman, entre autres, qu'il y a eu des "surhommes" en Europe auparavant, et on sait ce que doit la compagnie des collants colorés à la figure de Fantomas), il pose le problème central du concept même de super-héros dans un récit. Comment le mettre en difficulté? Vers où diriger sa puissance? Quelle part donner à l'humain dans sa vie/dans sa personnalité (et, plus rarement, à l'inhumain).
Tous les super-héros qui succèdent à Kent apportent des réponses variées. De Spiderman aux personnages d'Invincible, les auteurs ont tiré le superhéros vers le quotidien, et ont inscrit la vie superhéroïque dans une temporalité banale: faire ses études, trouver un travail, fonder un foyer, avec les bénéfices de tension dramatique que l'on sait. De Watchmen à ce que j'ai lu de plus récent concernant Daredevil et Batman, d'autres ont exploré les possibilités d'altérité complète (folie, misanthropie, brouillage du bien et du mal...) - ce qu'on nomme généralement le "superhéros crépusculaire", expression qui me fait toujours penser à l'usage que fait le capitaine Haddock de cet adjectif. Toutefois, si l'on met de côté M. Manhattan et quelques personnages secondaires, Superman est le seul à poser le problème de la puissance en termes absolus: d'où Superman red son, d'où ces innombrables histoires où l'équilibre du monde dépend de l'intervention de l'encapé à la mèche. C'est donc dans ces histoires que je cherchais des réponses à cette question ô combien étasunienne, réponses pas toujours bêtes, mais lestées du supersérieux consubstantiel au personnage.
Or, voilà que A god somewhere pose la question sans Superman et apporte une réponse complexe, graphiquement irréprochable.
Tiens, je rajoute un point pour la peine.
On suit le personnage qui devient le Héros avant sa transformation dans son environnement social. Sa transformation affecte donc avant tout ses relations avec son frère, sa belle-soeur, son meilleur ami, sachant que tous les garçons sont amoureux de la fille. Les conséquences de l'apparition du Surhomme sur la géopolitique mondiale (cf Watchmen et Manhattan comme "homme qui met fin à la guerre") sont à l'arrière-plan, car celui-ci exerce son pouvoir de façon individualiste. Sa trajectoire psychologique, pour ce que l'on en perçoit, est une réponse intéressante à cette question: que se passe-t-il quand, d'un coup, on n'a plus rien à désirer qu'on ne puisse obtenir instantanément? La réponse habituelle est: on se crée de nouveaux désirs; ce n'est pas une maigre réussite que d'avoir évité ce poncif.
L'autre aspect très satisfaisant de l’œuvre est sa violence. Violence guerrière, bien sûr, car on se bat beaucoup dans le dernier tiers, mais violence des sentiments surtout. Je crois que je n'avais, jusqu'ici, jamais lu de bandes dessinées américaines donnant lieu à un désastre complet; le bilan final est vraiment celui d'une tragédie: les personnages se sont vus frappés par un événement majeur, hors-nature et imprévu (apparition de pouvoirs par chute de météorite) et leurs vies sont détruites pièce par pièce jusqu'à la fin. Même dans Watchmen, on pouvait considérer que les choses se terminaient bien pour Ozymandias (d'un certain point de vue) et pour les amoureux. Rien de tel ici. Cette noirceur finale est parachevée par le dernier retour en arrière de l'histoire (qui en propose régulièrement) qui lui, en contraste, est très lumineux. Du grand art.
Bon, je ne dis rien de la réflexion sur Dieu, passible sans doute de bûcher dans certains coins des Etats-Unis, car elle recoupe partiellement ce que j'ai dit sur Superman, et parce qu'il faut bien qu'il vous reste quelque chose à comprendre sur ce titre intraduisible.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Post-super-héros
Créée
le 18 août 2015
Critique lue 336 fois
10 j'aime
3 commentaires
D'autres avis sur A god somewhere
Il s'agit d'un récit complet en 1 seul tome initialement paru en juin 2010, écrit par John Arcudi et illustré par Peter Snejbjerg. L'histoire s'ouvre sur une page terrifiante : une scène de carnage...
Par
le 22 sept. 2019
une Bd qui se laisse lire, pas longue, un seul volume et assez originale. Je conseillerai donc la lecture aux fans de super héros en quête de scénarios originaux.
le 16 juil. 2014
Une bonne surprise, comme dit Mike Mignola " L'approche la plus humaine qu'on ait jamais réalisée sur une histoire de super-héros." c'est exactement ça, une histoire sombre, triste, violente,...
Par
le 11 janv. 2012
Du même critique
La couverture montre Superman arborant la faucille et le marteau en lieu et place de son S, et le quatdecouv explicite aussitôt cette image frappante: Superman est tombé en Ukraine au lieu du Kansas,...
Par
le 9 janv. 2011
49 j'aime
10
C'est un petit livre parfait, où chaque mot est soupesé avec un soin rare. C'est la formulation la plus claire et la plus exacte de la sacralisation du langage à laquelle tout le dix-neuvième siècle...
Par
le 26 oct. 2011
47 j'aime
2
Les éditions françaises ne manquent jamais d'indiquer en quatrième de couv ou en postface que Tezuka est considéré comme le dieu du manga au Japon. Je me méfie de ce genre de propos; toutefois, je...
Par
le 26 août 2011
34 j'aime
6