C'est un petit livre parfait, où chaque mot est soupesé avec un soin rare. C'est la formulation la plus claire et la plus exacte de la sacralisation du langage à laquelle tout le dix-neuvième siècle aura participé, et que le vingtième portera comme une pierre de plus en plus lourde à son cou. C'est un bréviaire d'écrivain réécrit vingt fois qui pourtant rejette le brouillon; le mot qui déflore le mystère de la page devant être juste, le seul possible, dénudé d'épithètes béquilles. C'est Mallarmé qui chevauche Malherbe, sans pour autant que la chair ne soit sèche ou triste. C'est donc un équilibre miraculeux, qui n'aura pas l'écho qu'il mérite.
Sur le plan de l'histoire littéraire, Louÿs poursuit cette lignée claire qui plaît tant à Kléber Haedens, qui y voit la spécificité de notre littérature, en y adjoignant cette nuance fondamentale: les poèmes sont des créatures vivantes, des êtres harmonieux et indépendants de leurs créateurs, et non l'expression la plus exacte d'une vérité (d'une idée) cachée dans la réalité sensible. Pendant ce temps, Dada défait le langage à Zurich et met à mort sa puissance prométhéenne. Ces quelques pages solaires, qu'on peut méditer longtemps, sont le chant du cygne du poète maître du langage, tel qu'on le trouve en Grèce deux mille cinq cents ans plus tôt; chant pur et net, gazé, vidé, démembré.