Funeste désert...
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le 28 août 2014
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Hugo Pratt est bien évidemment un bédéaste reconnu, un totem de la bande dessinée. Mais pour ceux qui le connaitraient moins, il fut aussi un explorateur et un globe-trotteur, des ingrédients qui se sont retrouvés dans ses œuvres et notamment sa plus célèbre, Corto Maltese. Le marin et aventurier est né en 1967, différents albums l’ont vu sillonner le monde. Et même si Hugo Pratt est mort en 1995, son oeuvre perdure, différents auteurs ont repris les aventures de Corto, tels Martin Quenehen et Bastien Vivès en 2021.
Pourtant, derrière la carrure de Corto Maltese réside un large pan de la carrière d’Hugo Pratt, riche en pages à découvrir et à redécouvrir.
En 1977, il collabore avec la célèbre revue Pilote. A l’Ouest d’Eden sera une de ses œuvres publiées dans la célèbre publication puis en album. En 1998 le prestigieux éditeur Vertige Graphic la réedite, dans une belle reliure, accompagnée de deux préfaces assez inutiles mais aussi d’un petit carnet de croquis le plus souvent réalisés à l’aquarelle, tous très beaux.
Cet album prend place au sein de la Somalie contrôlée par les Britanniques, nous sommes en 1931. Hugo Pratt fait revivre cette région de l’Afrique noire qu’il connaissait bien pour avoir vécu en Abyssinie (actuelle Ethiopie) pendant 6 ans lors de sa jeunesse, avant d’y revenir plusieurs fois adulte.
Pour le lieutenant Robinson du bataillon de frontière du Somaliland Camel Corps sa mission est une épreuve. La chaleur ne serait qu’une épine mineure. Mais des forts anglais semblent avoir été pris pour cible. Parmi les cadavres retrouvés, une lettre revendique le forfait, signée Mohammed Abdullah Hassan, chef militaire somalien qui s’en est pris à l’administration britannique sur le territoire. Celle-ci l’a surnommé le «Mad Mullah ». Il est censé être mort depuis 10 ans.
Robinson n’est guère prêt à croire aux fantômes, mais il doit réviser son jugement, à mesure que lui et son bataillon errent dans le désert. Un squelette va lui parler, très amicalement. Un nébuleux sorcier va le prévenir de malheurs qui arrivent. Et progressivement la bascule se fait, le rationnel Robinson ne semble plus savoir où il est, et tout ce que lui veulent les personnes qu’il va croiser.
Hugo Pratt mêle alors le sable à la foi, les coutumes rituelles à la Bible. Le christianisme s’infuse dans l’album, par petits indices, par allusions, par les discours des personnages, sans pour autant revêtir la forme qu’on lui connaît, qui aurait été encore plus saugrenu dans cette partie du globe. Un syncrétisme étonnant et mystérieux, mais finalement bien amené. Comme Robinson, le lecteur est désemparé, comme lui il étouffe sous cette chaleur, comme lui il ne sait plus vraiment où il se situe. Jusqu’à cette conclusion glaçante qui remet tout en respective.
Cette histoire vit aussi grâce au trait d’Hugo Pratt, dont le génie ne vieillit pas. Ce n’est pas seulement parce que le cadre est atemporel, c’est la Somalie des années 1930, mais ce n’est qu’un vague contexte, d’ailleurs à peine expliqué pour ne pas être étouffé par ce cadre historique. Ce désert n’a pas d’âge. Les quelques habitations et uniformes ou autre points de repères ne sont guère importants.
Il faut saluer la maîtrise d’un artiste qui se montre économe dans ses traits, mais qui expriment tant, par le cadre, les ombres, les regards, les décors. Les mésaventures du lieutenant Robinson entre réalité et un ailleurs mystique n’ont pas besoin de surenchère, bien au contraire. Cette ambiance étrange se crée si facilement. D’ailleurs les couleurs sableuses et ternes d’Anne Frognier s’accordent parfaitement, comme délavées par ce soleil d’Afrique.
Cette histoire d’Hugo Pratt est assez peu connue, c’est bien dommage. Elle démontre tout le talent de son auteur, et pas seulement esthétique. A l’ouest d’Eden est un album de bande dessinée à l’histoire discrète, d’un fantastique mystique progressivement amené. Il n’y est pas question d’une grande aventure, bien loin de là, mais d’un homme qui perd pied avec la réalité. Mais de quelle réalité ?
Créée
le 4 oct. 2022
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