Plus de quarante ans que le viking affronte les défis mis sur son chemin par les hommes et les dieux. Quarante ! Forcément, ça laisse des marques, et pas forcément de belles. Après un beau début, un âge d'or magnifique (tome 9 à 23), quelques tâtonnements scénaristiques et un très bel adieu (tomes 28-29) de Jean Van Hamme à l'une de ses séries-phares, on a successivement eu droit à :
- un bel espoir avec un début de cycle prometteur centré sur Jolan (tomes 30-31) ;
- un choix de déclinaison en séries spin-off axées sur Kriss de Valnor, Louve et la jeunesse de Thorgal, à l'odeur d'exploitation de licence ;
- un très bon départ de la première sous-série sur Kriss qui apaisait les craintes ;
- l'annonce d'un grand plan permettant aux deux sous-séries sur Kriss et Louve de rejoindre la série-mère au bout de leurs arcs scénaristiques respectifs, tout en faisant en sorte que ces deux sous-séries restes facultatives (ce qui n'est jamais bon signe pour l'intérêt des spin-offs) ;
- un évident ralentissement de la série principale (tomes 32-33-34) peut-être lié au besoin de faire avancer les albums facultatifs à côté pour que tout se recoupe en terme de date de publication, ou plus prosaïquement à celui de tout faire coller scénaristiquement et donc d'établir un scénario global. Le tout doublé d'un retour de Thorgal dans la série, qui n'était pas nécessaire et ralentit terriblement les albums en les divisant entre son avancée et celle de son fils ;
- l'éjection de Jolan de la série principale vers le spin-off de Kriss (qui ne résout pas les problèmes de rythme des tomes 33 et 34), corrélé au changement de scénariste pour la série principale et à une sortie trop précoce -au vu des dessins de Rosinski- pour le tome 35 ;
- un nouveau changement de scénariste et une fin complètement bâclée, tant au niveau du scénario que du dessin, du cycle entamé au tome 31. On se demande vraiment ce qui s'est passé en coulisses mais le résultat est loin du niveau habituel. Le tome 36, qui marque le départ de Rosinski, second père de Thorgal, est une immense déception ;
- le choix de partir sur des aventures 'one-shot' pour les tomes suivants (en tout cas au départ, je n'ai pour l'instant pas repris la série principale) tout en continuant la sous-série 'La jeunesse de Thorgal' qui semble bien plaire.
Après tout ça, difficile de s'enthousiasmer pour une énième annonce, entre déclinaison en roman, livre-escape game et jeux de société, d'une nouvelle série destinée à permettre à divers auteurs de "créer des aventures de Thorgal différentes, avec leurs talents respectifs."
C'est là qu'arrive cette sublime couverture bleutée (merci au Lombard d'avoir pris la rouge pour l'édition limitée), la proposition d'un Thorgal âgé, au crépuscule de sa vie, et un album-fleuve qui fait sauter le format en passant à plus de cent pages. Alors on se dit "pourquoi pas", on accepte la main tendue par Robin Recht et on se prend une belle claque dès l'introduction avant de plonger avec délice dans cet excellent album.
Recht a lu Thorgal, a grandi avec Thorgal, a des souvenirs avec Thorgal, comme beaucoup de lecteurs, et ça se ressent au détour de chaque page. Dans l'utilisation qu'il fait de la mythologie de la série, dans son découpage des planches, sa mise en scène, les relations entre les personnages... on aurait pu craindre un album 'best-of' au vu de la thématique du souvenir, mais c'est bien une nouvelle aventure qui est ici proposée et qui chemine finement entre relecture, hommage et continuité.
Après plus de quinze ans à osciller entre espoir, circonspection, enthousiasme et déception, j'ai retrouvé le plaisir brut de lire Thorgal. Bon courage au suivant, le niveau a été placé très haut !