En 1968, lors de la cérémonie des Oscars, Alfred Hitchcock est appelé sur scène pour recevoir le prix Irving Thalberg. Il s’avance lentement vers le micro et se contente de prononcer trois mots : « Merci. Au Revoir. » Pour comprendre cette scène quelque peu surréaliste, intercalée dans les dernières pages du « Maître de l’angoisse », il faut remonter dans le temps et parcourir la longue liste des vexations subies par le cinéaste britannique aux Oscars. Noël Simsolo et Dominique Hé l’ont bien compris, et ils exposent par le menu, en parallèle à ces cérémonies où il est au mieux nommé, ce qui a constitué l’étoffe du cinéma hitchcockien : le meurtre, les ambiguïtés sexuelles, les mères effroyables ou encore la dualité. De là à penser que le metteur en scène de Psychose était trop franc du collier pour l’Académie…


« Le Maître de l’angoisse » accorde une grande importance aux obsessions d’Alfred Hitchcock, et à commencer par les blondes sculpturales. Rappelons que la comédienne Tippi Hedren a accusé Alfred Hitchcock en 2016, dans ses mémoires, de l’avoir agressée sexuellement. La bande dessinée de Noël Simsolo et Dominique Hé revient sur leur relation dysfonctionnelle et laisse entendre que le réalisateur britannique cherchait à régenter la vie de la jeune comédienne. En parallèle, sa relation avec Alma, épouse et collaboratrice, nous est rappelée de bout en bout. Quand elle se porte mal, comme c’est le cas lors du tournage de Frenzy, Alfred Hitchcock n’hésite pas à prendre congé pour demeurer à son chevet. D’autres mariages, professionnels ceux-là, s’inscrivent au cœur du récit : les Cahiers du cinéma, Cary Grant, James Stewart, Lew Wasserman, Bernard Herrmann, Saul Bass, Grace Kelly ou, plus problématique, David O. Selznick (leur collaboration aboutira à des longs métrages dont Alfred Hitchcock refuse ensuite la paternité).


Cet album est aussi l’occasion de démystifier les principaux chefs-d’œuvre d’Alfred Hitchcock. Si l’impression de sauter d’un film à l’autre peut parfois s’avérer désagréable, il n’en demeure pas moins que Noël Simsolo et Dominique Hé rendent passionnante l’évocation d’une filmographie américaine aussi abondante que mémorable. Les décors coulissants et l’homosexualité suggérée de La Corde, la conception de l’espace de Fenêtre sur cour, le train phallique de La Mort aux trousses, les rôles de composition de L’Inconnu du Nord-Express, la séquence de la douche de Psychose et bien d’autres événements, faits ou anecdotes figurent en bonne place dans « Le Maître de l’angoisse ». Chose suffisamment rare pour être soulignée, la BD parvient à tenir en haleine tant le cinéphile curieux de se replonger dans la carrière et le cinéma d’Alfred Hitchcock que le lecteur lambda, peu ou non initié, et ce, par l’entremise d’un personnage obsessionnel fascinant de génie et de fêlures.


Gratifié de dessins troublants de mimétisme, en noir et blanc, ce second et dernier tome d’Alfred Hitchcock figure sans conteste parmi les meilleurs albums de la collection « 9 1/2 » des éditions Glénat. Les auteurs ont réussi à restituer les ambitions formelles du maître du suspense, à narrer les arcanes hollywoodiens, à sonder la psychologie tourmentée d’un artiste incontournable. Et s’il est évident que l’admirateur d’Alfred Hitchcock s’y sentira davantage à l’aise que le quidam, « Le Maître de l’angoisse », de par sa caractérisation de l’homme et du milieu du cinéma, saura trouver un public au-delà des frontières cinéphiliques.


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Cultural_Mind
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le 10 sept. 2021

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