- Allons, mon Roi. Ne soyez pas timide. La vie offre d'autres joies... que celles de la prière.
- Aliénor, fais... fais de moi ce que tu veux.
- J'en ai bien l'intention... majesté !
Mon amour, ma femme, ma vie, ma haine, mon bourreau...
La série de bandes dessinées "Les reines de sang", dédiée aux destinées exceptionnelles des grandes souveraines qui ont marqué l'histoire, représente une saga que j'apprécie particulièrement pour sa manière novatrice de présenter le passé. En partant d'événements historiques, elle parvient à tisser une légende sombre autour des reines, les érigeant en symboles aussi emblématiques que puissants. Ainsi, la saga offre un voyage captivant à travers l'Histoire, avec ses hauts et ses bas, ses triomphes et ses tragédies, tout en offrant une perspective unique sur le rôle des femmes dans des époques souvent dominées par des figures masculines. Qui a dit que les femmes n'ont jamais laissé leur empreinte à travers les époques ? Certainement pas les éditions Delcourt, qui nous présentent avec efficacité le premier tome de "Aliénor, la Légende noire". Une œuvre initiée par Simona Mogavino et scénarisée avec brio par Arnaud Delalande, efficacement illustrée par Carlos Gomez. Une collaboration captivante qui nous offre un éclairage sur la vie d'une figure importante de l'histoire de France, Aliénor d'Aquitaine, née aux alentours de 1122 et décédée en 1204. Connue pour avoir successivement assumé les rôles de reine de France puis de reine d'Angleterre. Une plongée passionnante dans le passé, qui nous ramène à l'époque où, à l'âge de quinze ans, la duchesse d'Aquitaine et comtesse de Poitiers épouse à Bordeaux l'héritier du trône de France, qui devient le roi Louis VII. Bien que ce mariage confère à Louis VII le titre de duc d'Aquitaine, le duché n'est pas encore intégré au domaine royal, laissant Aliénor en être la première détentrice et la confirmer ainsi en position de force.
À travers ce premier tome, les premières années de règne de la Reine de France sont dévoilées, une souveraine qui conservera ce titre pendant quinze ans, jusqu'à l'annulation du mariage royal survenue à la suite de divers problèmes, qui seront révélés au fil des albums suivants. Ici, on explore la période de 1137 à 1140, avec avant cela une ouverture en 1143 avec le drame historique de Vitry-en-Perthois qui se sera soldé par la mort de 1500 personnes, brulées vives dans l'incendie de la ville. Ainsi, on découvre les multiples facettes de cette femme remarquable qui a joué un rôle politique de premier plan et a participé avec son époux à la deuxième croisade, lui valant ainsi le titre de "Reine de sang" attribué par Delcourt. L'Aliénor que l'on découvre est encore jeune et démontre une certaine arrogance, pensant pouvoir manipuler son mari, facilement influençable, afin de promouvoir les intérêts de l'Aquitaine. Mais, elle se heurte rapidement à une cour expérimentée dirigée de manière stricte par sa belle-mère Adélaïde et le conseiller du roi, l'abbé Suger. Ces deux figures la maintiennent à distance des affaires du royaume. Subissant l'humiliation de tous côtés, elle va d'abord se faire discrète et se contenter de s'habituer à sa nouvelle vie au sein du royaume de France en y apportant l'esprit libre, sans détour et jovial qui la caractéristique. Une approche qui lui vaut une nouvelle réprimande, cette fois de la part de son mari, Louis VII, sous l'influence de sa mère et de son conseiller. Ainsi se révèle la ruse de la jeune Reine qui, tour à tour, va astucieusement évincer les conseillers du roi pour faire de son mari une marionnette qui va servir ses propres ambitions.
On suit ce récit avec un vif intérêt, portés par une écriture qui maintient notre attention, surtout lorsque la jeune Reine, débarrassée de ses entraves, révèle pleinement ses aspirations belliqueuses. On se délecte à la voir manœuvrer avec une habileté certaine, employant la stratégie, la manipulation, voire le meurtre, en utilisant son corps et ses charmes pour s'assurer la loyauté de ceux qui faciliteront la réalisation de ses projets. Ces aspirations sont dédiées à la gloire de l'Aquitaine, voire même à sa propre gloire. Ce qui rend le récit fascinant, c'est la manière dont il est ancré dans des événements historiques avérés, souvent précurseurs de nos jours comme des décisions irréfléchies. Par exemple, en 1138, après la formation de la commune de Poitiers, la ville est prise par Louis VII, qui prend en otage les enfants des habitants et exige de les envoyer à sa reine pour en faire un exemple en les supprimant. Heureusement, l'abbé Suger intervient pour le faire renoncer. Cette intervention lui coûte son rôle de conseiller du roi, ouvrant ainsi la voie à la manipulation de Aliénor qui, à partir de ce moment, n'a plus d'opposant. Malgré ses manigances, Suger n'était guidé que par le bien-être de la France, un pays qui se retrouve à la fin de ce tome sous le joug d'une redoutable Reine, prête à faire couler le sang. Les développements ultérieurs seront révélés dans les tomes suivants. Les illustrations de Gomez sont globalement réussies, particulièrement dans les gros plans où les détails sont généreusement représentés. Mais, lorsqu'il s'agit de plans plus grands, on constate un manque de finition autour de certains détails, que ce soit au niveau des visages ou de l'environnement, que la colorisation un peu terne de Claudia Chec, n'aide pas à embellir. Malgré cela, la possibilité de découvrir Bordeaux en 1137, Poitiers et l'abbaye de Saint-Denis demeure plaisante.
CONCLUSION :
La série de bandes dessinées « Les reines de sang » offre une immersion captivante des grandes souveraines qui ont laissé une empreinte indélébile dans l'histoire, déconstruisant ainsi les préjugés sur le rôle mineur des femmes à travers les époques. Le premier tome, consacré à "Aliénor d'Aquitaine", est une œuvre bien menée qui offre une exploration intelligente du pouvoir, de la manipulation et de l'ambition à travers le destin fascinant de celle qui fut reine de France. Aliénor est un personnage marquant que l'on prend plaisir à suivre dans cette bd grace à une description complexe de ce personnage et une écriture intelligente autour de sa quête du pouvoir.
Même si ce premier tome n'est pas exempte de critiques, il reste passionnant à lire et nous invite à ouvrir le prochain tome.
- Ecoute, Louis, ces cris venus de la ville ! Dans le noir, tu te souviendras de ces flammes, tu sentiras encore l'odeur âcre de la chair brûlée... Tu te réveilleras en frissonnant... Désormais, ils te hanteront jusqu'à la mort. En cette nuit, ton âme s'est perdue ! La vois-tu, là-bas, parmi ce spectacle de cauchemar ? Des innocents, Louis ! Tu as fait tuer des innocents ! Et pourquoi, mon jeune roi ? Pour qui ? Tu sais pour qui, Louis de France ! Elle t'a ensorcelé ! Elle n'a jamais cessé de vouloir le pouvoir. Elle a trop d'emprise sur toi !
- Suger... S'il te plaît... Laisse-moi seul.
- Seul, Louis ? Mais tu es seul.