Une balle dans la tête qui vous vrille les méninges et vous fait sauter la boîte crânienne, c'est comme ça qu'on peut le prendre, All You Need is Kill. Sans que ça ne soit non plus du gros calibre, la balle va là où souhaite qu'elle se rende, prodigue l'effet qu'on lui destine et suffit amplement à s'accepter pour ce qu'elle ça vaut.
Comme une balle, l'intrigue, qui n'est finalement que tout ce que l'œuvre aura à faire valoir, fuse en deux volumes de temps à peine. Elle sait où elle va précisément parce que celui qui l'a tirée lui destinait une cible précise. Une histoire qui sait où elle va, pour les plus naïfs d'entre les lecteurs qui se seront égarés sur cette critique, ça se veut la base. Mais cette base - cette simple base - dans le monde du manga, c'est déjà la quête du Graal. Et ce Graal-ci, on l'a trouvé pour ne finalement boire la coupe qu'à moitié.


Si All You Need Is Kill (qu'on va appeler AYNIK pour ne pas user mes pauvres doigts) sait où il se rend, c'est encore car il s'agit d'une adaptation de Light Novel déjà publiée et dont la fin était déjà connue. La Light Novel en manga, j'en suis pas à mon premier rodéo. Oh non. Loin de là. Houleuses expérience. Expériences dont je ressors avec un sentiment... féminisé.
Je ne saurais poser le terme exact sur un ressenti, d'autant plus que celui-ci est très personnel, mais j'ai souvent l'impression, en me remettant à des adaptations de Light Novel, d'être ressorti d'œuvres dont on aurait pu dire d'elles qu'elles ont une touche féminine dans le ton.
Y'a souvent de l'idée - pas toujours - mais cela finit souvent par barboter dans une aménité aux discrets relents rose-bonbon dont le sucrose distillé finit en diabète chiasseux. Ça ne va généralement pas au bout et ça s'assume mal, alors que ça part le plus souvent d'un concept qui a de l'avenir et qu'on finit par maltraiter. À supposer qu'on ait su en tirer le meilleur profit pour commencer.
AYNIK, sans trop laisser derrière lui ce sentiment, le suggérera tout de même à chaque interaction entre personnages.


Un bon concept, c'est de là d'où par la balle AYNIK. Et ça ne part que de là. L'auteur presse la détente et seul le mécanisme du concept s'enclenche. AYNIK ça se vaut pour son univers ? De ce qu'on en aura vu franchement... Les antagonistes, sans répliques et avec un but défini comme unique motivation existentielle, ne nous apparaîtront comme rien d'autre qu'un ramassis de testicules vérolées. Très vérolées j'entends. Testicules néanmoins.
Et de l'autre côté de la barre, des personnages dont le caractère n'est ni sec ni trempé mais tiède et atone. AYNIK a un concept et, finalement, il n'a que ça à nous proposer. Chaque tenant lui sera dédié et le servira au mieux pour un rendu tout à fait acceptable, mais le manga ne sera jamais rien d'autre que l'œuvre d'un concept uniquement.


Et ce concept, quel est-il pour valoir que le répertoire ne se limite qu'à ce dernier ? Réapparaître à un même point dans le temps après avoir été tué. Un jour sans fin en manga, mais avec des aliens. Parce que les Japonais ne peuvent tout simplement pas s'empêcher de rajouter des tentacules ou des testicules géants dans des histoires classiques. Si vous saviez ce qu'ils ont fait de la Bible, les saligauds...
Mais ne boudons pas notre plaisir. Pour une fois qu'un manga ne se répète qu'à dessein... ce principe de revenir sur son passé pour le tirer au clair et le tourner à son avantage m'aura rappelé Quartier Lointain qui, lui, usait du retour temporel narratif que dans un cadre lyrique.


AYNIK, dans son concept, se présente comme une excellente idée - peut-être déjà exploitée dans d'autres œuvres - mais qui définit l'enjeu et les perspectives dès le premier chapitre. Il n'y a pas de doutes, il n'y a pas de louvoiements ou de tortillage du cul, ça part vite et ça prend la direction que ça s'est destiné en s'y orientant sans faille.


La direction est prise mais, mieux que tout, elle ne s'embarrasse d'aucun excès de zèle. Il y a un point A et un point B ; le point A rejoint le point B et s'y arrête. Mieux vaut n'avoir qu'une seule chose à dire et que celle-ci soit bien dite qu'une chose et demie où l'on se contenterait de balbutier maladroitement la moitié surnuméraire sans trop savoir ce qu'elle veuille dire. Je ne vise personne en écrivant cela.
Plutôt que de trahir l'auteur de la Light Novel - que je n'ai pas lue au demeurant - et s'essayer à une suite en hors-piste pour palper la zeille afin que le lard-feuille ne fasse bombance ; auteur et dessinateur de AYNIK s'en seront tenus à un cahier des charges précis. Point de capitalisations douteuses n'auront été opérées autour du concept afin de le traire jusqu'au sang. Le mieux est l'ennemi du bien et le bien, pour ce qu'il a de rare dans le milieu du manga par les temps qui courent, vaut bien qu'on s'en contente. Ce que se seront attelés à faire les auteurs.


Auteurs au pluriel. D'abord, celui de la Light Novel, Hiroshi Sakurazaka, puis Takeuchi Ryosuke pour l'adapter au Storyboard et Takeshi Obata qu'on ne présente plus pour les dessins.
Un mot sur les dessins, mais alors un seul car les traits esquissés ne m'en suggèrent guère davantage. Non pas qu'ils soient mauvais, mais ceux-ci ne peuvent pas ne pas souffrir de la comparaison avec ce que Murata aura déjà pu esquisser du bout du pinceau. Indubitablement, le style me sera paru bien plus impersonnel qu'en d'autres temps.


Mais si ce n'est le fil directeur qui passe le long de l'intrigue comme un immense rouleau compresseur, ne se trouvera sur son obstacle que l'habituel, le coutumier, le prévisible et décevant congrès des poncifs réuni en assemblée plénière. La longueur de l'histoire - deux tomes - vaudra à AYNIK un panel de personnages secondaires fusant comme des étoiles filantes bien ternes. Des archétypes, oui, mais pas même assumés jusqu'au bout ; des esquisses seulement.
«Des testicules ont tué ma famille», une histoire d'amour bonne pour les midinette ; ça pleure quand il faut que ça pleure et ça dramatise quand bien le moment de donner le change ; la narration, apparemment très aux aguets, tombe toujours à propos au bon moment ; comme une sporadique averse de grêlons auxquels se substituent les opportuns rayons de soleil. La météo de l'intrigue, conduite ici par la narration, ne survient qu'après avoir été annoncée avec une précision de métronome.


L'avantage d'une œuvre qui se clôture si vite suppose qu'une fin, si elle est décevante, ne l'est finalement pas tellement puisque nous n'aurons pas eu trop à attendre d'ici à ce qu'elle ne nous prenne en traître. La trahison, ici, aura été commandée par l'impératif inopiné d'un drame ayant agité le scénario comme si celui-ci s'était pris d'une soudaine envie de pisser. À la gueule de ses lecteurs, tant qu'à faire.
Cette révélation bien tardive - que nous appellerons la théorie des antennes pour ne pas éventer une fin aux vapeurs crasseuses - n'aura été justifiée que par la volonté de se perdre dans le drame à pas cher. Son irruption subite, au gré des pages de l'avant-dernier chapitre, est trop artificieuse pour être appréciée. Au point ou même un dénouement heureux et simplet lui aurait été enviable.


AYNIK ? Une parenthèse intense mais oubliable, comme une brève secousse survenue lors d'un vol à haute altitude. Y'avait un concept. Ça, y'avait. Il était beau, on l'avait poli, soigné, perfectionné même, il rutilait. Mais rien d'autre ne l'entourait. Les plus tentés par l'idolâtrie s'en contenteront à genoux les mains jointes quand les plus exigeants regarderont autour pour constater le néant dans lequel il brille. Un manga qui se lit pour son concept est finalement un manga qui ne s'accepte pas comme une œuvre mais une idée mise en forme par dépit. Peut-être pouvons-nous dire cela de AYNIK. Je le peux en tout cas. Pire encore, je le fais. Non sans toutefois manquer de reconnaître la qualité objective dudit concept et de son élaboration sur deux tomes bien remplis. Car un lecteur, sil est honnête, peut être déçu sans se montrer ingrat.

Josselin-B
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le 20 mars 2021

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Josselin Bigaut

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