Il peut être un peu difficile de prime abord de bien cerner ce qui marche dans American Splendor, un comic constitué d'une suite de saynètes sans constance graphique ou réellement thématique qui mettent en scène les tracas du quotidien – un peu à l'image de ce que propose parfois Clowes dans Eightball – de son auteur, Harvey Pekar.
Le travail de « non-fictionnalisation » et d'autobiographie du matériel est souvent revendiqué par l'auteur au cours de pages dont l'un des marqueurs semble bien être le refus constant et volontaire de toutes les structures narratives. Harvey Pekar, pour cela, a différentes stratégies à disposition : il pourra par exemple décider de faire démarrer une scène in medias res pour la saper de son sens, utiliser les outils de la mise en relief sur des actions inutiles ou complètement vaines, ou encore s'échiner à montrer le déroulé d'un événement dont aucune leçon ne peut être synthétisée à la fin.
À terme, la démarche qui peut facilement déconcerter ou décevoir un temps révèle une agressivité larvée plutôt séduisante contre les ficelles du narratif, en refusant activement toute forme qui pourrait conférer de la téléologie aux petits faits de la vie.
La démarche devient donc plus photographique par là – ou peut-être plus poétique, si l'on entend la poésie comme un geste essentiel de description, et vient proposer un travail très intéressant et plus que pertinent d'autoantibiographie.
Cette forme de malaise qu'il peut y avoir à écrire pour empêcher sa vie de se cacher sous la forme trompeuse d'une histoire est renforcée par le choix graphique curieux de faire illustrer les moments dont il est question par les galeristes les plus divers du comics, créant par là une sur-couche d'altérité à un récit de soi déjà distancié par le refus du récit-même.
Le jumeau maléfique d'un certain pan du taf d'Eisner. Et l'utilisation effrénée, presque terroriste du réel contre l'espoir du réalisme.