Quand Blueberry joue les boucs émissaires dans un western à la sauce machiavélique

Avec Angel Face (1975), Jean-Michel Charlier et Jean Giraud (Moebius) signent un western aussi sombre qu’explosif, où complots politiques, règlements de comptes, et tension dramatique s’entrelacent dans une spirale infernale. Ce dix-septième tome de Blueberry est une leçon magistrale en storytelling et en dessin, où chaque page respire la poussière, le danger, et les manipulations à grande échelle.


L’histoire démarre sur les chapeaux de roue : Mike Blueberry, toujours poursuivi par sa réputation de bad boy de l’Ouest, se retrouve accusé à tort d’avoir voulu assassiner le président des États-Unis. Rien que ça. Bien sûr, ce complot est orchestré par les sinistres figures de l’ombre qui tirent les ficelles en coulisses, et Blueberry, fidèle à lui-même, doit non seulement laver son nom, mais aussi démêler un imbroglio politique où il n’est qu’un pion sur l’échiquier des puissants.


Blueberry est ici au sommet de sa forme. Plus charismatique que jamais, il jongle entre la survie pure et les intrigues complexes avec son mélange unique de débrouillardise, d’humour acide, et de ruse. Le voir tenter d’échapper à ses ennemis tout en essayant de comprendre les motivations tordues des conspirateurs est un pur régal. Sa personnalité, à la fois pragmatique et idéaliste, brille particulièrement dans ce contexte où la frontière entre héros et anti-héros se brouille.


Visuellement, Jean Giraud atteint des sommets. Les décors urbains et désertiques sont rendus avec une précision et une intensité incroyables, et les scènes d’action, qu’il s’agisse d’un duel tendu ou d’une échappée sous les balles, explosent littéralement des pages. Mais ce qui impressionne le plus, c’est la capacité de Giraud à capturer l’émotion et la tension dans les visages de ses personnages. Chaque regard, chaque rictus est un chef-d'œuvre qui en dit autant que les dialogues eux-mêmes.


L’écriture de Charlier, comme toujours, est ciselée et dense. L’intrigue de Angel Face est un véritable jeu d’échecs où chaque mouvement, chaque rebondissement est calculé pour maintenir une tension constante. Les dialogues sont percutants, mêlant exposition claire et sous-entendus subtils, et les personnages secondaires, qu’ils soient alliés ou ennemis, sont tous fascinants à leur manière. Mention spéciale à Angel Face lui-même, un antagoniste glaçant dont le calme trompeur cache une personnalité froide et manipulatrice.


Là où Angel Face excelle, c’est dans sa manière de mêler l’intime et le politique. Ce n’est pas juste l’histoire d’un homme accusé à tort : c’est une critique acerbe du pouvoir, des ambitions démesurées, et de la manière dont des vies humaines peuvent être sacrifiées au nom de grandes idéologies (ou de petites mesquineries). Pourtant, malgré la noirceur du récit, l’humour et l’humanité de Blueberry apportent une lueur d’espoir, même dans les moments les plus désespérés.


Si on devait chercher un défaut, ce serait peut-être la densité de l’intrigue, qui demande au lecteur de suivre attentivement pour ne pas perdre le fil. Mais cela fait aussi partie du charme de cet album : il ne se contente pas de vous divertir, il vous fait réfléchir, tout en vous tenant en haleine jusqu’à la dernière case.


En résumé, Angel Face est un western brillant et captivant, où Charlier et Giraud montrent une maîtrise absolue de leur art. Entre complots retors, personnages inoubliables, et un dessin à couper le souffle, cet album est un incontournable pour les fans de Blueberry et de la bande dessinée en général. Une aventure tendue, intense, et mémorable, où Blueberry prouve une fois de plus qu’il est l’un des plus grands héros du Far West… même quand il porte le poids du monde sur ses épaules.

CinephageAiguise
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le 18 déc. 2024

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