Ce manga en trois tomes est un peu particulier. Une des raisons pour lesquelles son potentiel est gâché, c'est qu'il se termine au troisième tome avec une fin qui ne correspond sans doute pas beaucoup avec ce qui était prévu au départ. La fin abrège les souffrances d'un manga où l'auteur était en train de se perdre.
Mais le grand défaut de ce manga apparaît très tôt dans le premier tome. L'auteur a voulu créer un shônen humoristique sur le mode d'Akira Toriyama et partiellement d'Osamu Tezuka, sauf que ce n'est tout simplement pas une clef naturelle de son imaginaire. Certaines recensions disent regretter l'humour pipi caca de Aqua Knight, mais il faut être plus précis. L'humour pipi caca peut très bien marcher, et c'est le cas dans Docteur Slump qui est à l'évidence une référence ici dans Aqua Knight. Il y a aussi évidemment une influence de l'autre manga de Toriyama Dragon Ball. L'exemple le plus évident, c'est que le petit héros masculin naïf et intrépide n'a jamais vu une fille et le vieux lui explique que les deux formes rondes sont des poires que seuls les enfants et le mari de cette femme ont ou auront le droit de toucher. Il y a quelques autres parallèles qui font que c'est assez évident qu'il y a une volonté de concourir avec Akira Toriyama. Le problème, c'est que d'une part le côté pipi caca est très vite à la marge dans Dragon Ball, c'est plutôt une spécificité de Docteur Slump, Dragon Ball privilégie plutôt les blagues potaches au plan coquin, sexuel, d'autre part, Toriyama est plus à même de faire rire avec ce genre de blagues que Yukito Kishiro. Cette volonté de produire un manga comique un peu potache est sensible et il faut ajouter le patronage d'Osamu Tezuka auquel il est difficile de ne pas songer au sujet du petit garçon héros. La nudité, le petit sifflet à l'air, existe aussi avec Goku dans Dragon Ball, mais ici le côté ébaubi du personnage, les positions du corps, cette plastique des jambes tordues en arc de cercle, les positions quasi obscènes avec le sifflet à l'air et le regard tourné vers le lecteur, je songe automatiquement aux personnages les plus débridés des mangas d'Osamu Tezuka. Je n'ai pas constaté qu'on citait Tezuka et Toriyama quand on parlait du manga Aqua Knight alors qu'en fait ça permet de comprendre un peu l'optique qui était celle de Yukito Kishiro et ça permet aussi de comprendre comment il a pu s'enfoncer dans un échec et dans un registre qu'il ne maîtrisait pas. Tout le manga est gâché à cause de cette volonté de concourir avec les deux prédécesseurs. Yukito Kishiro doit aimer lire les mangas comiques de Toriyama et Tezuka, mais ce n'est pas en phase avec sa démarche et ses capacités créatrices.
Il y a d'autres défauts dans ce manga. Sur la couverture du premier tome, le dessin de l'héroïne principale est superbe avec la position des jambes, la sensuatlité jusq'au bout de ses pieds en partie nus dans leurs sandales, mais au sein du manga le personnage n'a pas du tout une esthétique accrocheuse. Il y a un monde entre l'érotisme de la couverture que je viens de décrire et la plastique du personnage du manga.
Au plan de la conception, il y a une autre maladresse. Les orques avec leurs formes très rondes n'étaient pas très pertinents en tant que montures de chevaliers dans un manga d'action. Je veux bien que l'orque soit plus fort que le requin blanc, mais il faut avouer qu'en termes de dessins un chevalier sur un requin blanc apprivoisé serait beaucoup plus impressionnant. L'orque a un physique ingrat de peluche pour bébés. Les armures font également assez gagas.
C'est bien dommage, car face à cela il y a une richesse d'imaginaire. On a une terre plate parsemée d'îles avec sur les côtés du monde l'eau qui tombe comme d'une cascade. C'est de la loufoquerie bienvenue. On remplacerait l'orque par un requin, le concept de chevalier marin serait tout de suite plus puissant. D'autres solutions auraient pu être envisagées avec des hippocampes où que sais-je encore ? On a des idées pour améliorer, mais il y a tout un cadre qui était bien conçu. On a aussi droit à un sacré délire avec l'évocation par l'épée des soldats squelettes venant de l'enfer. Nous avons aussi le cas de la fille dont le corps disparaît petit à petit à cause de la maladie du néant. Bref, il y avait du potentiel, mais tout a été gâché.
L'histoire a des amorces intéressantes, mais de tome en tome on sent qu'elle se simplifie et est repensée pour être finie vite fait. Et j'ai un peu de mal avec un antagoniste qui a l'air de sortir de la plume de Gottlieb, et l'histoire a le même côté ridicule et fade que celles de la rubrique-à-brac. Du coup, le manga est impossible à sauver par un quatrième tome qui corrigerait les défauts, il faudrait tout reprendre en recommençant une histoire dès le début avec un nouveau premier tome.