Dès les premières pages, on est plongé dans l'univers impitoyable du phare d'Ar-Men, où chaque case semble transmettre l'âpreté du vent, le fracas des vagues, et la solitude des gardiens. Emmanuel Lepage, fidèle à son style, déploie une palette de couleurs et des cadrages qui rendent presque tangible l'expérience des hommes qui vivent au rythme des marées. Les pages semblent elles-mêmes résister aux fracas des vagues, rendant cet environnement presque vivant, au point qu'on pourrait presque sentir le sel sur notre peau et entendre le cri des mouettes en tournant les pages.
Pourtant, derrière cette beauté visuelle, le récit peut parfois dérouter. L'histoire, riche en légendes bretonnes et en récits mythologiques, notamment celui de la cité d'Ys, peut sembler éparpillée. Cette superposition de récits, bien que prometteuse, peut rendre la lecture un peu confuse, atténuant l'impact émotionnel du récit principal. Les personnages, bien qu'intrigants, ne parviennent pas toujours à susciter une forte empathie, ce qui peut laisser certains lecteurs un peu distants.
Comme tous les grands auteurs, Lepage a manifestement fait beaucoup de recherches avant de se lancer dans ce projet. Cependant, toutes ces références, bien qu'elles raviront les natifs de la région, alourdissent parfois inutilement l'histoire pour un lecteur d'ailleurs.
Malgré ces quelques réserves, cette œuvre reste marquante par sa capacité à évoquer la force brute de la nature et la vulnérabilité de l'homme face à elle. Elle se distingue par son cadre unique et son traitement visuel époustouflant, même si elle ne parvient pas toujours à captiver pleinement par son histoire. Pour les amateurs de récits maritimes et de légendes bretonnes, le voyage est fascinant, même si l'on pourrait en ressortir avec une impression d'inachevé, d'avoir effleuré seulement la surface des profondeurs que l'œuvre semblait promettre.
Ce qui est particulièrement touchant, c'est la manière dont Lepage raconte l'histoire de ces hommes qui, au fil des âges, ont tenté de mettre en œuvre ce projet insensé. Le phare devient le symbole de la persévérance humaine, une lutte constante contre les éléments, et ces pierres, si difficiles à ériger, sont le reflet de cette persévérance. C'est une beauté ahurissante, et malgré les faiblesses narratives, cette dimension du récit est terriblement bien racontée et profondément émouvante.