Arte
7.3
Arte

Manga de Kei Ohkubo (2013)

Les femmes japonaises et l’Italie, on a eu Cesare et Thermae Romae, Golden Wind. Comment ? Araki n’est pas une femme ? Ça prête à débat si on le juge à l’aune de l’évolution de son dessin.

Le fait est que la demoiselle-ci revisite leur histoire ainsi que leurs traditions, aux ritals, après que l’auteur ait apparemment pris grand soin d’en faire fi.


Oh non, pitié, pas le truisme du « Comment ? Un mariage arrangé, et ma liberté ? ». Il est des anachronismes qui suggèrent la lassitude. Et quand on voit ce que vous en avez faite de votre liberté, mesdemoiselles…


Ouais, je dénonce. Même que je rajoute une douche rétrograde par-dessus. Tenez, en voilà du contenu traditionnel abject. Vous m’en direz des nouvelles.


« MUHAHAHAHAHA, ON NE REGARDE PAS TON TRAVAIL CAR TU ES… UNE FEMME ! »


J’admets ne pas être suffisamment érudit des choses de l’artisanat durant l’Italie du XVIe siècle, toutefois, pour être assez renseigné sur la question des corporations en France à la même époque, je peux assurer que ce genre de réplique suinte le manque de recherche historique crédible. À cette même époque, les affaires d’artisanat sont souvent familiales et conviennent aussi bien aux garçons et aux filles, ces dernières n’ayant que rarement le luxe de se tourner les pouces pour être entretenues. Certains secteurs artisanaux s’attribuent d’ailleurs mieux aux hommes qu’aux femmes selon les affinités de chacun. Rétrograde encore – c’est-à-dire doté d’un sens de l’observation – je remarque par exemple que les métiers de la menuiseries en France sont, à près de 99 % occupés par des hommes à ce jour. De même, les métiers de la couture – jusqu’à ce qu’on saborde le secteurs du textile en France – étaient trustés par des femmes. Mais… sans doute est-ce dû au patriarcat ; tout est social il paraît. Quand on s’interdit d’étudier le reste, moins.


Quant à la question de l’art, car le titre seul de cette œuvre nous y incline, les femmes y trouvèrent jadis une place congrue durant le Moyen-Âge puis plus conséquente durant la Renaissance. Toute étant de la noblesse, car la gueusaille avait autre choses à faire de ses journées, occupée qu’elle était à travailler la terre pour ne pas crever. La discrimination était alors moins une affaire de sexe que de rang.

On peut déplorer que les femmes, dans le domaine des arts et des sciences, n’étaient statistiquement pas très nombreuses à cette époque. Comme on peut déplorer, depuis l’ère industrielle jusqu’à nos jours, que les prix Nobel, champions d’échecs, grands auteurs classiques, compositeurs légendaires, peintres de génie, inventeurs en tout genre et autres médaillés Fields soient surreprésentés par les hommes. On en déduira que tout cela est le fruit d’une société patriarcale systématisée à l’ensemble du monde entier sur des millénaires… on en tirera d’autres conclusions. Celles qui s’imposent, et qui font rarement plaisir à écrire. Aussi me contenterais-je de les sous-entendre avec un sourire condescendant.


D’autant que si un tenancier d’échoppe, dont le succès des affaires dépend avant tout de l’attractivité de ses produits, trouvait du génie dans un pinceau tenu par une femme… celui-ci s’empresserait alors de la recruter, précisément afin de garantir sa fortune. Le critère dominant dans le rejet d’un apprenti tient finalement plus à son absence de talent qu’à une fente entre deux cuisses.

Aussi, le sempiternel laïus du « Je suis rejetée parce que je suis une femme dans un monde d’hommes » vieillit mal à force et sent même le ranci. D’autant que toute désargentée qu’elle se trouve être, la gourgandine dont on suit les aventures, elle appartient tout de même à la noblesse… c’est-à-dire une classe privilégiée de par sa seule appartenance à une lignée.

Mais j’imagine qu’un lieu commun féministe et anachronique est plus sexy et vendeur que de disserter sur le malheur de quelques pue-la-pisse sans le sou, crevant de la famine ou de la peste au recoin d’un faubourg. Oui, pleurons plutôt le sort de cette injustice patriarcale ici, grossie vulgairement par une narration malhonnête.


Kei Ohkubo a en tout cas les prétentions de son titre. Si elle n’est certainement pas l’illustratrice de manga la plus experte dans son domaine qu’il m’ait été donné de lire, de la précision dans le crayonné, elle a en bonne dose. Les visages naïfs de ses personnages, parfois à la limite du Shôjo – j’exagère – sont à contraster avec le reste de ses compositions graphiques. Le niveau de détail qui nous saute aux yeux jusqu’au moindre fil du vêtement le plus anecdotique qui soit traduit la passion de son auteur pour les belles confections. Les robes sont somptueuses ; on les croit presque soyeuses rien qu’à les toucher du regard. Un manga qui se pique d’art saura ici faire honneur à son sujet sans toutefois époustoufler.


Seulement, ce qui est plaisant aux yeux l’est moins pour l’esprit. Ce côté nunuche de la protagoniste, constamment mis en exergue, l’aspect ténébreux, mais pas trop, juste le temps de la pose, qu’arbore son maître, ces afféteries pour le coup dignes d’un Shôjo, tout cela est gonflant en un rien de temps. Les intrigues sont d’ailleurs si téléphonées qu’on se sent de raccrocher le combiné bien assez tôt.


On voudrait retrouver, comme dans les Carnets de l’Apothicaire, ce sens de la découverte. Nous familiariser avec ce monde nouveau qu’est celui de l’artisanat qui lui plaît tant. Mais de ce monde-ci, on n’en approchera que pour effleurer la surface sans se risquer à l’exploiter davantage. Comprenez que le mélodramatique est autrement plus intéressant. Même si celui-ci, avec ses foultitudes d'intrigues pompeuses, navrantes et prévisibles, a été visité et revisité un bon milliard de fois. Si ce n’est des grands yeux humides et des sourires niais, n’espérez pas vous enthousiasmer devant la moindre action commise par Arte.


Bien que la mise en scène nous force aux yeux son opiniâtreté au travail, on ne peut s’empêcher, à la lecture, de trouver que tout lui sourit bien facilement, à cette péronnelle. Ce n’est pas le tout de nous dire qu’elle travaille dur, il faut nous le faire ressentir. Que son adversité soit la nôtre, que l’on souffre avec elle afin, qu’au bout du tunnel, quand point la consécration, nous aussi partagions ses joies.

Là, fondamentalement, on s’en fout. Elle a beau travailler à s’en faire saigner les doigts, c’est si grossièrement exhibé qu’on ne souscrit pas à la démarche. L’auteur cherche à en faire trop avant de seulement en faire assez.


C’est niais, factice, spécieux, sans fond, rien qu’avec des apparats à présenter sans pousser la documentation bien loin, celle-ci abandonnée très vite au profit d’une intrigue inintéressante. Il y avait tant à exploiter dans le monde de cet artisanat, dans le relationnel qui lui incombe, et à la place, on a eu Arte. Là où le culot est d’ailleurs poussé très loin, c’est encore lorsqu’en visitant la demeure d’Ubertino, aucun des dizaines des tableaux affichés sur les murs n’est montré, ceux-ci n’ayant pour eux que des formes vagues pour que l’auteur n’ait pas à se casser le cul. J’entends que c’est un exercice exigeant que de dessiner des tableaux de maître… mais quand on fait un manga sur les peintures de la Renaissance… faut peut-être assumer de temps à autre. Si d’aventure j’écrivais un manga sur la faune marine, je ne laisserais pas l’intrigue se hasarder 90 % du temps dans le Sahara, comprenez-vous. Et pourtant, la traversée du désert, sans espoir à terme, on y a droit.


J’insiste sur Arte car elle m’énerve un peu plus à chaque chapitre qui passe. Je jure que cette insupportable crétine n’a que trois émotions à afficher sur son visage : un sourire bête et innocent sans cesse placardé sur la gueule, un regard résolu et volontaire, ou une mine déconfite par la surprise d’un instant. Imaginez tout ça qui s’enchaîne sans cesse à la suite d’un chapitre à l’autre TOUT-LE-TEMPS.


Tout le monde est beau. C’est littéralement un Shôjo. Et quand elle n’a rien à faire, Arte créé quand même de l’événement pour meubler le chapitre. Mettez-la sur un bateau et elle tombera inexorablement à l’eau pour être sauvée par deux adonis blonds. Avec le prévisible « Nous avons été obligés de vous déshabiller car vos vêtements étaient trempés ».

Y’en a plus que pour le mélo à même pas vingt chapitres de distance du premier. L’artisanat ? Mais on s’en branle ma brave dame. Non, nous on veut savoir par quel passé douloureux (et déjà vu ailleurs) a cheminé Leo pour devenir cet artisan taciturne au grand cœur ; on veut tout savoir des états d’âme d’une servante enamourachée de son maître. On veut de la merde, mais on la veut teintée de rose afin qu’elle émoustille les jeunes filles.


Le mâle que je suis se sera senti exclu de cette histoire de premier au dernier chapitre. Ne commercialisez pas ça comme un Seinen quand on peut lui trouver pléiade de points communs avec Fruit’s Basket. Ah c’est pas généreux la comparaison que je fais là, mais ce que je lis est pas mal gratiné non plus. J’aurais juré que ce manga intitulé « Arte » nous causerait d’art… alors là, on m’a bien pris au dépourvu. Sacrée surprise, je m’y attendais pas.


Et la voir dessiner tout du long sans jamais pouvoir poser l’œil sur un de ses croquis… J’appelle ça le phénomène Hikaru no Go ; un manga où on nous montrait la scène de compétition du Go, sans jamais nous montrer une partie de Go. Mais elle travaille dur, hein ! Juré ! Même qu'elle s’effondre d’épuisement à chacune de ses séances, c’est dire si elle a tout donné. C’est peut-être aussi pour ça que les peintres ne recrutent que des apprentis masculin. Eux ils s’évanouissent pas après cinq ou six coups de pinceau ; ça doit jouer.

Faudra retravailler la mise en scène pour être crédible. La mise en scène, et le reste aussi.


Vas-y qu’elle peint une princesse rien qu’après s’être entretenue avec elle quinze minutes de temps. Tout, à Arte, lui tombe tout cuit dans la bouche. Elle n’échoue jamais. Comment, dans ces conditions, peut-elle nous apparaître sympathique ? On ne peut jamais se référer à elle tant elle est parfaite et irréprochable.


La voilà maintenant qui refuse benoîtement d’espionner à la cour d’Irene, sœur de Charles Quint. Malgré le risque que suppose une pareille charge, pour elle, tout va aller comme sur des roulettes. On la jette dans un donjon afin qu’elle n’évente rien de la mission qu’on voulait lui confier, et elle y restera… deux chapitres et demi. Facile. L’adversité n’a même pas le temps de prendre forme sur la toile que la peinture dont elle est faite s’évapore aussitôt. Tout va de soi, et sans effort, sans une contrainte.


Le tout s’achève de manière mielleuse et convenue ; tout sera allé bien dans le meilleur des mondes. Ce récit ? C’était une autoroute de nuit ; on va tout droit et sans avoir à dévier de la trajectoire. Gare à ne pas rouler trop longtemps dans ces conditions cependant, le sommeil vous gagne assez vite. Arte aura été un pari, celui d’écrire sur un sujet sans aborder le sujet en prenant un soin tout particulier à bien vouloir sans cesse viser à côté.

Guido se fera dire à la fin que la peinture qu’il contemple a été dessinée par une femme. Bah figurez-vous que le manga que je viens de lire aussi, et ça va pas plaider en faveur de ces dames si je considère ce que je viens d’en lire. Heureusement qu’il y a Kyu Hayashida et Ryoko Kui pour les racheter toutes. Heureusement…

Créée

le 19 nov. 2024

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Josselin Bigaut

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