Comme un cheveu sur la soupe
C’est sûr – le premier tome des aventures d’Astérix, l’opus fondateur, le point de départ d’un triomphe planétaire, a pas mal vieilli.
Certes le dessin est très approximatif, les personnages ne sont pas encore fixés, Jules César change même complètement de tête entre la première page et son apparition à la fin de l’histoire !
Certes le scénario est des plus simples – les Romains veulent s’emparer de la potion magique et envoient à cette fin un espion dans le camp gaulois. On y accole une seconde potion magique, dont l’effet aura un impact immédiat sur le système pileux des consommateurs. (Mais cette idée-là aurait pu être copyrightée par Hergé depuis On a Marché sur la lune, dès 1950 …)
Mais le cadre, l’essentiel donc, est là – le village, les personnages, Panoramix et la potion magique, les camps retranchés et la grande histoire à l’intérieur de la petite. Il ne restera plus qu’à affiner : Assurancetourix ou le forgeron Cétautomatix n’ont pas encore trouvé leur tête, le barde n’est pas encore interdit de repas festifs, Abracourcix sans son bouclier à porteurs ne fait encore que de la figuration et les calembours doivent encore être dégrossis (ici une série un peu lourde autour des cheveux) – et Obélix n’est encore qu’un second rôle. Les ajustements seront on ne peut plus facile.
Il y a même par instants une certaine recherche graphique – au moment de la recherche des fraises, exigée par le druide pour achever sa recette à forte concentration de poils, on passe aux vignettes monochromes, vert pour la recherche en forêt, rouge pour les fraises, violet …
Et dans ce tout premier essai la poésie ne manque pas – la quête des fraises précédemment évoquée, et surtout le long passage consacré au marchand de bœufs, un peu benêt et cobaye tout désigné pour goûter aux potions proposées par le druide. Sa problématique est aussi touchante que pleine de bon sens :
« Je suis marchand de bœufs, mais j’hésite à vendre mes bœufs, car si je le fais, comment rentrerais-je chez moi ? Je n’aurais plus de bœufs pour tirer mon char ? »
Et il y a même dans les imperfections et dans les approximations du trait une poésie certaine, tâtonnante et artisanale (celle que l’on retrouve, dans une optique certes différente dans Tintin et les soviets) – qui finira par s’estomper, parfois, lorsqu’Astérix sera devenu une franchise.
L’histoire est en marche.