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le 2 sept. 2024
Au-dedans, ou In dans son titre original, est un album publié par le Britannique Will McPhail en 2021 ; artiste dont la principale activité est, semble-t-il, d'être illustrateur et cartooniste pour des canards comme le NY Times, ce qui se ressent dans son approche graphique souvent stripesque.
Au-dedans raconte l'histoire, on l'imagine relativement teintée d'autobiographie, de Nick, un illustrateur trentenaire un peu paumé dont le principal souci dans la vie est son incapacité à comprendre le principe des relations inter-personnelles : il ne sait pas intégrer à son système de réflexion le fait que les individus en face de lui aient un ego et une conscience propres, ce qui l'empêche de réussir à éprouver de nombreuses émotions et lui cause une angoisse forte dans ses rencontres, puisqu'il se montre effrayé par la vacuité des échanges sociaux pourrait-on dire phatiques, ou de surface. Mais comme souvent dans la vie, les deux grandes lames que sont, en miroir, l'amour et la mort, viendront essayer de lui apprendre à créer du liant en se décentrant.
Au-dedans est un album intéressant à de nombreux égards, rendant son succès critique assez compréhensible. Le caractère dépouillé de son dessin, qui vient probablement à l'auteur de la pratique du strip, permet fréquemment de convoquer le blanc pour essentialiser l'action à un échange simple entre deux personnages proches mais qui ne peuvent se toucher, noyés dans tout ce vide. C'est habile. L'aspect presque autistique du personnage principal permet des interactions gênantes qui ne sont pas dépourvues d'un humour du malaise fonctionnant globalement bien le long de l'intrigue. Je suis un peu plus circonspect sur tout une part du livre consacrée à moquer les habitudes culturelles des bobos ou des hipsters métropolitains qui traînent dans des cafés, non parce que ce n'est pas vrai ou drôle en soi mais essentiellement parce qu'on l'a déjà beaucoup vu. Le cheminement engagé du protagoniste le long du bouquin peut paraît à peu près cohérent, à défaut d'être achevé ou particulièrement bien pensé, rendant la structure du livre correcte et fonctionnelle.
Mais c'est sans doute là que le bât blesse quelque peu de mon côté. Peut-être attendais-je beaucoup et trop du livre partant de son sujet, peut-être qui sait m'attendais-je même à trouver certains conseils applicables pour lutter face au même problème auquel je ne suis sans doute pas étranger, mais j'ai le sentiment en refermant l'album que le tout manque d'ampleur, de projection. On a évidemment affaire à un récit réaliste (à l'exception de quelques séquences sur lesquelles je reviendrai brièvement) et intimiste qui n'a pas pour principe de développer un extraordinaire débridé ; mais je ne sais pas, j'ai eu du mal à me sentir réellement impliqué dans la douleur molle du personnage, d'autant plus que le récit est construit, sans trop en dire, sur un ressort émotionnel assez dur à maîtriser qui est celui de la cruauté ; c'est au moment où le héros aura presque touché du doigt l'accomplissement de sa quête que celle-ci perdra largement de son sens, et la cruauté est censée nous faire grimacer ou serrer les dents. Elle m'a laissé plutôt inerte.
Retenons tout de même qu'Au-dedans est, matériellement, un album assez magnifique. Que ce soit dans son format, sa rigidité ou le grammage épais de son papier, tout a été sélectionné pour manufacturer un objet qui doit rappeler les carnets Moleskine sur lesquels le personnage travaille lorsqu'il s'absente de chez lui (pour ne pas regarder trop de porno). Will McPhail fait le choix, pour marquer la progression de son héros, d'intégrer de petites séquences colorisées et oniriques dans un livre noir et blanc à chaque fois que le protagoniste arrive à briser sa barrière et à toucher la conscience personnelle d'un autre être humain. Ces séquences de rêve – mais aussi de cauchemar – servent dans l'histoire à transmettre les émotions les plus intimes des personnages, ou ce qui leur pèse le plus sur le cœur au moment, sans les verbaliser, puisque ces séquences demeurent totalement muettes, sollicitant par là l'implication analytique du lecteur. C'est un outil de construction intelligent et qui est graphiquement absolument superbe.
Conclusion qui sera donc mitigée de ma part mais cela n'enlève rien au travail de Will McPhail, qui conviendra sûrement à pas mal d'amateurs de BD intimistes plus ou moins « tranche de vie » – bien que le terme ait tendance à devenir fourre-tout. À au moins feuilleter pour ses séquences d'introspection fantastiques colorées.
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Créée
le 26 août 2024
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