Au-dedans
8.1
Au-dedans

Comics de Will McPhail (2021)

Qui est vraiment notre maman ?

Nick se balade de cafés en cafés. Non pas qu’il soit tant en manque de caféine, Nick est un artiste. Il dessine, illustre ce qu’il observe lorsqu’il parcourt la ville, à pied ou en métro. Mais surtout, Nick est un homme, jeune, qui cherche à comprendre comment il en est arrivé là. Là ? À avoir des relations superficielles avec à peu près tous les êtres humains qu’il rencontre. À ne plus ressentir d’émotions. À être vide au-dedans.

Will McPhail nous présente donc ce garçon assez aimable et somme toute, banal. C’est un célibataire dans une grande ville où les cafés sont tous plus cools et donc plus froids et inhumains les uns que les autres. C’est quelqu’un qui partage sa vie entre un boulot alimentaire dans l’illustration et son métier d’artiste, qui regarde du porno sur son ordi pour toujours terminer, après s’être masturbé, en écoutant un album de Joni Mitchell, qui aide sa mère à retaper une maison.

Le dessinateur rend à merveille les petits moments du quotidien de la vie de Nick, avec un travail d’épure qui semble avoir été étudié case par case. Les dessins sont simples eux aussi, mais font part de la réelle angoisse qui vit en lui, sans en faire des tonnes graphiquement. Il suffit juste d’un haussement de sourcils, d’un œil qui frise, d’un début de sourire. C’est incroyable à voir, à analyser, à vivre.

Le format de la BD elle-même a été pensée avec soin. On ne tient pas n’importe quel bout de carton ou papier en main. C’est une très grande BD, imposante mais sans chauvinisme, avec presque 300 pages de dessins. La texture de l’ouvrage est douce au toucher, les pages ressemblent, quant à elles, à celles du carnet de croquis de Nick. Si Au-dedans est une grosse brique, l’équilibre entre dessins et écriture est idéale, l’aération parfaite : il n’y a ni trop de dessins, ni trop de textes. Parfois, il n’y a même qu’une seule case par planche. Mais c’est la révolution intérieure de Nick qui est en jeu.

Nick rencontre une femme, assez rapidement dans le récit, Wren, qui aura une grande importance dans sa vie nouvelle. Cependant, il ne ressent rien. Il tente alors un move extraordinaire avec un plombier : entamer une conversation, une vraie, une de celles qui racontent énormément avec peu de mots. C’est l’explosion intime. Lui-même ne sait pas ce qui lui arrive. Un échange, une puissance émotionnelle. Les dessins s’illuminent de couleur comme une ampoule qui s’allumerait en lui. Il est prêt à affronter son monde intérieur, à découvrir celui des autres et même à tenter de comprendre sa famille, sa mère et celle qui se cache derrière ce statut social.

Il est difficile de trouver le bon adjectif pour décrire Au-dedans, tant la BD est exceptionnelle à de nombreux points de vue. Elle est d’abord très, très drôle, surtout si on est soi-même un citadin d’une grande ville, se moquant gentiment d’un certain cocon caféiné hipsterisé. Elle est très, très belle, et je fais référence ici aux personnages, aux dialogues, aux détails des bâtiments, grâce à des dessins minimalistes. Elle est enfin très très riche, tant elle aborde ces sujets intimes avec une délicatesse et une empathie, sans cynisme et sansles clichés habituels sur les smartphones. On termine la lecture sur les genoux, incapable de parler, certain d’avoir entre ses mains un objet précieux, à partager, avec l’envie d’être Nick et d’entamer des conversations riches de soi et des autres, y compris des autres qui nous sont proches, là, maintenant.


Critique publiée le 2 septembre 2024 dans le Suricate magazine : https://www.lesuricate.org/au-dedans/

Cambroa
10
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le 2 sept. 2024

Critique lue 177 fois

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