Pour les rescapés de l’horreur de la Grande Guerre, difficile de retrouver une place dans la société civile. Albert et Edouard l’ont bien compris, la France n’a que faire de ses démobilisés et n’a de toute façon pas les moyens de les aider à se réinsérer. D’ailleurs, la patrie préfère glorifier ses morts et oublier les survivants, surtout quand ces derniers sont revenus amochés comme Edouard, gueule cassée refusant de dissimuler son facies sous une prothèse. Devant tant d’ingratitude, les deux amis comprennent que seule la débrouille leur permettra de survivre. Et quoi de mieux qu’une arnaque surfant sur la veine mémorielle pour assouvir une vengeance et s’imaginer un avenir...


Je n’ai pas lu le roman (acheté pourtant à sa sortie), et je pense que c’est un handicap au moment de découvrir cette adaptation. La comparaison m'aurait sans doute permis de mieux saisir les nombreuses différences entre les deux (notamment la fin, si j’ai bien compris). Il est rare qu’un écrivain adapte lui-même son roman en BD, sans doute parce que la narration « graphique » implique une prise de hauteur, une distance avec le texte d’origine qu’il n’est pas simple de mettre en œuvre. Ici, Pierre Lemaitre a eu la chance d’être parfaitement accompagné pour mener à bien son projet. Il ne pouvait trouver meilleur partenaire que Christian De Metter, dessinateur s’étant déjà fait remarquer, entre autres, pour son adaptation de Shutter Island.


Comment passer de 600 à 160 pages ? En étant forcément moins bavard, en ne reprenant aucun dialogue ni extrait, en proposant un récit plus tendu, plus dans l’ellipse, le raccourci. Avec la BD on est davantage dans la suggestion . Le superbe travail sur les regards et leur expressivité par exemple en dit bien plus sur la psychologie des personnages que de longs récitatifs. Clairement, la force du dessin prend le pas sur l'écriture. D'ailleurs ce dernier n'a aucun mal à le reconnaître quand il il parle de son duo avec De Metter : « C'est mon histoire, mais c'est vraiment son album ».


L'interprétation « visuelle » d'un texte aussi littéraire avait, avant le coup, tout du plan casse-gueule. Mais la mise en images, inspirée et pleine de souffle, tendant même parfois vers le burlesque, offre une nouvelle dimension au Goncourt 2013 et évite l'écueil de la fidélité absolue à l'oeuvre d'origine. Une incontestable réussite.

jerome60
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le 7 oct. 2015

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