Auschwitz
6.7
Auschwitz

BD (divers) de Pascal Croci (2000)

Si il y a bien un sujet qui a inspiré les artistes depuis quelques décennies, c'est la seconde guerre mondiale, et plus particulièrement la Shoah dans son sens large. Que ça soit dans le cinéma avec des œuvres sur les Justes (La Liste de Schindler), les ghettos (Le Pianiste) ou encore le message d'amour face aux camps (La Vie est Belle), dans la littérature avec l'innocence de l'enfance face aux dangers quotidiens (Un Sac de Bille) et les questions morales qu'on eut les héritiers (Le Liseur) ou la musique (Gainsbourg). Mais, pour ce qui est de la BD, ce secteur a eu la chance d'avoir Maus d'Art Spiegelman, aimé ou non, cette œuvre a marqué les consciences comme étant plus qu'une œuvre sur la réalité des camps. Maus avait réussi le paris non pas simplement d'apprendre l'horreur de ce génocide, mais de le faire comprendre, de le saisir d'avantage que des simples documentaires. Cette façon de saisir est d'ailleurs essentiel pour ce qui est de la Shoah, on a pas besoin d'une simple succession d'image, mais il faut faire rentrer de force le spectateur. A ce titre, Le Liseur de Berhnard Schlink est une œuvre forte qui ose poser les bonnes questions.
Quand on annonce qu'Auschwitz est « la première bande-dessinée réaliste sur la Shoah », je suis donc dubitatif. Publiée en 2000, elle est le résultat de 5 ans de travail par Pascal Croci, qui a fait pendant 10 ans des bandes-dessinées historiques pour différents magazines. Suite à des « recherches minutieuses » et des interviews, il entend proposer moins un résumé de la solution final, ou des thèses d'historiens qu'une sensibilisation aux jeunes générations au devoir de mémoire.
A mon sens, Croci se loupe grandement et nous allons voir pourquoi.

En ex-Yougoslavie en 1993, Kazik et sa femme, Cessia, sentent que le danger les guettent, ils remontent alors dans leurs souvenir, quand, en 1944, ils sont arrivé à Auschwitz. L'horreur de la barbarie nazie, avec la sélection de ceux qui allaient vivre un peu plus longtemps, et ceux qui iraient directement dans les chambres à gaz, les kapos, juifs qui trahissent les leurs, les autres prisonniers qui pensent pouvoir survivre mais se trompent, puis le travail de Sonderkommando, les juifs qui doivent s'occuper des cadavres des chambres à gaz. Ce dernier point est un des rares qui m'a véritablement intéressé. En effet, c'est une thématique nouvelle et particulièrement intéressante, peut être pas assez traité encore ici, alors que l'angle est pour le moins différent.
Le dessin, glaciale, froid, déshumanisant, est particulièrement réussie et de circonstance. Il déshumanise tout le monde, montrant des visages froids, mesquins. Les yeux apparaissent comme fous, déshumanisés. Le style graphique colle donc parfaitement au sujet. Il souffre cependant d'un défaut de taille : tout le monde se ressemble rapidement, certaines scènes devenant, non pas impossible à lire, mais nécessitant un certain degré de sérieux pour saisir comme il faut.
La mise en page, pour sa part, remplie bien son rôle. C'est pas révolutionnaire, mais il y a quelques bonnes idées. Servant bien le rythme narratif, elle est, comme ce dernier, parfois un peu longuet. On se dit que certaines scènes durent trop longtemps, d'autres, pas assez.

Malheureusement, une fois passée le graphisme saisissant, que reste-t-il ? Un sujet intéressant, passionnant même. Osons le dire. Mais si demain j'écris un roman sur la seconde guerre mondiale, est ce que ça sera pour autant génial ? Je ne pense pas. Et le problème est qu'ici Pascal Croci semble à côté de la plaque. Censé être réaliste, on assiste d'avantage à un découpage qui semble être des images d'archives coupées les unes des autres sans réel lien. La vie n'est pas neutre, il y a des scénarios, des tensions qu'on peut montrer. Le cas de Maus n'est pas sorti du hasard. Spiegelman nous racontait quelque chose, la vérité certes, mais il la racontait quand même. Il permettait au lecteur de se positionner, de faire des choix, d'avancer, de ne pas être neutre.
Ici, l'absence d'un traitement scénaristique est des plus gênantes. Les protagonistes n'ont pas d'avant Auschwitz, ils n'ont qu'un lointain futur, bien mal placé il faut le dire. De la même manière qu'à la fin du récit on voit une succession de date plus ou moins confuse (suicide d'Hitler, capitulation de l'Allemagne, largage des deux bombes atomiques, procès de Nuremberg) et que ça amène à se dire « ok, mais pourquoi ? », tout le récit pose cette question. L'idée est bonne, certes, mais on a le bizarre sentiment que l'auteur n'a jamais voulu se confronter à sa propre œuvre, y apporter son axe de réflexion, sa mise en scène. Je ne peux même pas dire qu'il a laissé le réel neutre, car non, il n'a pas amené le réel en réalité. Il l'a mis sous verre, et de se fait l'empêche de nous toucher pleinement.
Les quelques passages scénarisés ne rattrapent rien. La recherche de la fille est bien trop rapidement traitée et manque de profondeur psychologique. La révélation sortie de nulle part, au bout de 50 ans, sans aucune puissance et montée dramatique est également très décevante. Finalement, les quelques atomes de scénarios nous amèneraient presque à penser qu'il vaut mieux s'en tenir éloigné tant Pascal Croci n'a pas réussie à réaliser ce qu'il aurait pu.

Auschwitz est une œuvre qui n'est pas entièrement loupée, elle reste touchante par moment, et nous rappelle éternellement l'horreur de la barbarie nazie. Le style graphique apparaît comme une évidence pour ce sujet. C'est, de ce point de vue, un franc succès. Cependant, on a l'étrange impression de ne pas avoir le droit à ce que l'on mériterait : une œuvre coup de poing. Un uppercut qui nous ramène face à un réel désarmant, horrible, bref, qui nous fasse vivre Auschwitz. A la place, nous avons le sentiment d'avoir une mise en image d'un manuel d'histoire d'une classe de 3ème.
mavhoc
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le 6 juin 2014

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mavhoc

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