Quand l'écriture délicate de Pierre Loti rencontre la beauté du trait de Franck Bourgeron, c'est une oeuvre d'une force émotionnelle rare qui naît. Une bande dessinée puissante et bouleversante. C'est Aziyadé.

Cette adaptation du roman autobiographique éponyme est une remarquable réussite. Avec un talent empreint de retenue, l'auteur livre une composition émouvante et d'une grande justesse. Et il n'est pas nécessaire d'avoir lu l'original pour ressentir puis admirer la fidélité et la maestria avec lesquelles il transcrit la fièvre de l'écrivain. Ce sont peu de pages qu'il faut au récit pour vous empoigner. Happé par cette histoire d'amour enflammé et interdit, entre un Loti en marin anglais et Aziyadé la magnifique musulmane, on se laisse d'abord envahir par une profonde mélancolie douce amère. Puis l'on cède encore, un peu plus investi, compagnon des attentes angoissées du héros, ami dans ses escapades nocturnes, spectateur indiscret de ses étreintes langoureuses, puis, avec lui, se réveiller alangui et heureux aux matins apaisés. Et maintenant au-delà, quand l'empathie se fait entière, on écoute, on plaint ou l'on pleure avec cet homme qui se cherche, qui crie intérieurement son mal, désespéré et dévoré par cette passion qu'il découvre de plus en plus extrême et qu'il sent, qu'il sait inéluctablement vouée à se perdre.

La plume poétique et sensible de Loti nous accompagne tout au long du récit par un fil conducteur, écho narrateur de ses pensées et par les correspondances qu'il entretenait avec sa famille et ses amis. Elle est le catalyseur de cet agréable déferlement de sentiments et si elle s'avère être le cœur de cette oeuvre, le graphisme de Bourgeron lui offre une âme. Une autre profondeur qui dévoile ce que les quelques mots encore impuissants n'ont pas réussi à dire.

Son style si particulier, saisissable entre mille, est ici somptueux et tellement évocateur. Un crayonné simple et dynamique qui donne vie à des personnages aux courbes généreuses. De fines griffures, ombrages maîtrisés qui renforcent les émotions. Des cadrages verticaux qui ouvrent l'espace ou des plans rapprochés soudain complices. Des ambiances subtiles et enchanteresses. Et des couleurs. Ah, ces couleurs ! Sobres, mais si belles. Une trichromie déclinée en nuances pastel. Le jaune d'un soleil éclatant, qui fait ressentir la chaleur et respirer les parfums d'une « Stamboul » envoûtante. Le bleu de nuits interminables chargées de désirs sensuels ou esquisses d'un chagrin lancinant. Le rouge des plaisirs défendus, le rouge de la passion, le rouge du sang.

Cet album au romantisme dramatique est un véritable crève-cœur, et j'ai pris tant de plaisir à me sentir si triste...
Sejy
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le 20 août 2011

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Sejy

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