Il y a selon moi deux catégories d’aventures avec le Marsupilami. Celles où il est le personnage central, où il est le coeur de l’action, que ça soit comme individu ou comme espèce, et celles où, au contraire, il se retrouve projeté dans un univers en mouvement et c’est ses actes qui sont importants, mais où Yann va surtout se concentrer sur le contexte autour.
Ce cinquième tome de la saga est de la seconde espèce. C’est d’ailleurs assez marquant de voir qu’après une scène introductive en 3 planches à Chiquito suivie de 6 planches dans la jungle où on lance l’histoire, c’est pas moins de 12 planches avant que le Marsupilami, Bip et Sarah ne reviennent dans le récit. C’est révélateur de l’idée principale : ici le but est bien de parler avec une forme de cynisme doux des conditions politiques d’Amérique du Sud (et plus globalement du monde entier) vues par Yann à la fin des années 80.
Et il faut avouer qu’on est surpris : Yann peint un dictateur incompétent mais froussard et non méchant comme on pouvait s’y attendre. Face à lui, son majordome puissant, viril, courageux apparaît comme un potentiel antagoniste, mais non, là encore, malgré le trait de Yann, on est surpris de voir le personnage être un fidèle allié, avec une belle personnalité plus complexe qu’il n’y paraît.
Tout est dans la nuance : il faut mettre fin à la dictature, oui, mais pourquoi ? Non pour la liberté mais par virilisme. Avec 30 ans d’avance, Yann ayant bien compris les idées de Franquin en matière d’égo masculine nous montre que la virilité ou la force ne sont jamais des qualités qui définissent les gens. Cela peut être utile (pour le majordome par exemple), mais cela ne doit pas pousser un peuple à agir (qui retombe aussitôt sous une nouvelle dictature) car finalement c’est bien la vie facile de la nature, celle du Marsu, qui est la bonne.
Bip et Sarah retournent à la civilisation mais ce n’est que pour mieux faire comprendre au lecteur à quel point derrière la technique, c’est la politique qui nous déçoit et qui fait que les deux jeunes gens ont bien raison de rester dans la jungle.
Derrière tout cela, on a donc le développement de l’univers du Marsupilami, aussi bien au niveau de la vie politique de la Palombie qu’au niveau des Marsupilami. Si je regrette personnellement le côté barbu pour le vieux Marsupilami (qui est quand même censé être le sujet principal du tome), j’ai été particulièrement touché par le personnage, par son histoire et par la semi-fin que l’on nous offre, à la fois tendre, magique et émouvante, montrant à quel point cet animal est à la fois noble mais aussi doux dans son amour d’un repos chaleureux.
Les thématiques de Franquin, en avance quant au droit à la paresse si l’on peut dire, sont encore bien là.
On regrettera que ce vieux Marsu soit trop mis de côté et que le récit ne se concentre pas davantage dessus, mais l’ensemble offre un tome bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Et bien entendu, Batem réalise une œuvre excellente d’une rare beauté. Bref, bon retour au pays des Marsu !