[Critique à jour de la publication du dernier tome]
Bakuman a tout ce qu'il faut pour devenir un grand shônen. De ce point de vue, le cahier des charges est respecté : une quête d'absolu, des personnages qui se révèlent à eux-mêmes en même temps qu'au lecteur, des amitiés fortes et indéboulonnables, un nemesis ultime, un soupçon de romance, le tout arrosé copieusement de confrontations rythmées et, manga oblige, graphiques.
Ici, la quête est celle de deux jeunes adolescents qui souhaitent devenir les mangakas les plus respectables de leur génération ; le Nemesis est une sorte de prodige asocial bien ancré à son trône et les confrontations se matérialisent par l'accouchement douloureux et hebdomadaire de nouvelles planches, la comparaison de votes des lecteurs et autres réunions éditoriales.
Tout y est, toutes les étapes du genre sont respectées, et en plus le dessin est bon. A peine pourras t'on éprouver un peu de lassitude sur les derniers tomes, mais c'est l'apanage de ce genre de séries comprenant un grand nombre de volumes.
Et pourtant, c'est cette fidélité au cahier des charges Shônen qui fait que ce n'est pas un grand manga. Et c'est d'autant plus étrange qu’au final, les personnages de Bakuman font le choix de s'émanciper des conventions, des usages et d'atteindre leur ambition sans renier ce qu’ils sont et ce en quoi ils croient : de ce point de vue, le « Reversi », manga dans le manga, rappelle évidemment la précédente série de Ôba et Obata « Death Note ». Le lecteur attentif y verra même un aveu d’échec des auteurs, qui avaient vraisemblablement cédé aux pressions éditoriales en développant le deuxième arc anecdotique et dispensable de Near et Mellow (tomes 8 à 12).
Concernant Bakuman, c’est sans doute ce soupçon de compromission qui s’impose au final. A vouloir présenter de manière consensuelle les coulisses du plus grand éditeur de manga japonais tout en étant publié dans ce dernier, et en apportant précisément cette conclusion à leurs personnages, les auteurs tendent fatalement le bâton pour se faire battre. Et n’empêcheront pas le lecteur d’imaginer ce qu’il aurait pu lire s’ils avaient pu un peu plus oublier les codes du genre et faire le mange qu’ils auraient sans doute pu faire.