Publié en 1974, « Ballade pour un cercueil » apporte une conclusion au cycle du trésor des confédérés, débuté en 1973 avec « Chihuahua Pearl ». Il s’agit du quinzième épisode des aventures du lieutenant Mike Blueberry, scénarisées par Jean-Michel Charlier et dessinées par Jean Giraud.
Après deux tomes d’enquête dédiés à la recherche et la découverte du fameux magot, celui-ci entre directement dans le vif du sujet : l’ultime affrontement de tous les clans antagonistes dans un terrible ballet funeste pour la possession du trésor. L’album prend la forme d’une course-poursuite effrénée des différentes forces en présence, où l’on se bat pour sa vie, pour l’or et la liberté. « Ballade pour un cercueil » est un tome en perpétuel mouvement, où l’on se déplace à pied, à cheval, en chariot ou encore en radeau. L’action et le voyage sont au cœur du récit : sachant le dénouement proche, les personnages n’hésitent pas à jeter toutes leurs forces dans la bataille avec une ardeur décuplée.
L’ouvrage frappe par son caractère inéluctable et sa terrible noirceur. Il dépeint la "fièvre de l’or", qui révèle les côtés les plus torturés des protagonistes dont les pires défauts apparaissent exacerbés. Le précieux métal jaune attise les passions et met en lumière tous les plus bas instincts de ceux qui le convoitent. Ce cortège d’âmes damnées introduites dans les épisodes précédents se réunit pour une ultime confrontation : c’est à une odyssée sanglante et macabre que l’on assiste, tapissant de cadavres la route de l’or maudit.
Le caractère inexorable du scénario en constitue la plus grande force ; toutes les péripéties, qui s’enchaînent logiquement avec un intérêt toujours renouvelé et dans un rythme impeccablement maîtrisé, nous emmènent droit au dénouement inévitable de l’histoire. Charlier se montre impitoyable avec ses personnages, qu’il dépeint systématiquement sous leur jour le plus sombre. Finlay, égal à lui-même dans sa folie homicide, le vicieux Vigo, Lopez l’acharné sanguinaire… Pearl et Blueberry – dont les joutes conjugales trouveront une conclusion étrange dans « Arizona Love » – et même les inénarrables Red Neck et McClure ne sont pas épargnés.
La traque est incessante, et ne laisse que peu d’instant de répit aux héros, qui sont néanmoins conscients d’approcher du bout du chemin. Ce sentiment d’achèvement confère un genre de certitude mélancolique que les aventures de Blueberry ne seront plus jamais pareilles. Cette sensation est magnifiquement illustrée par Giraud et ses dessins, à couper le souffle. Rarement bande-dessinée aura bénéficié de pareil écrin. Les qualités graphiques indéniables de « Chihuahua Pearl » pâlissent face à la perfection artistique atteinte ici, tant la précision du trait et la splendeur des couleurs donnent au récit une ambiance presque fantastique envoûtante comme rarement.
« Ballade pour un cercueil » est un album pivot dans la série. Il marque à la fois la fin d’un cycle et précipite des évènements qui serviront de fondements aux aventures qui suivront. En 1974, l’alchimie parfaite de la narration de Charlier et des dessins époustouflants de Giraud portent Blueberry à son apogée avec un album d'une perfection qu'ils n'atteindront désormais plus, et signent, peut-être l’une des plus grandes histoires de bande-dessinée de tous les temps.