Une magnifique fresque épique!
Basara, un shôjo qui parait impossible à condenser en quelques lignes (surtout avec 27 tomes). Un shôjo comme on aimerait en voir plus souvent dans cet univers. Car pour moi, Basara n’est pas un shôjo parmi tant d’autres, c’est LE shôjo qu’il faut avoir lu avec d’autres incontournables pour ne pas sembler inculte dans l’univers shôjo.
Il convient de parler de l’univers assez atypique de Basara pour commencer. En effet, on évolue dans le Japon du XXe siècle, mais post-apocalyptique d’une certaine manière. Ainsi, pas de voitures ou de moyens de communication, mais un Japon revenu au temps de la féodalité. Celui-ci est dirigé par quatre rois qui sont tous régis par un seul souverain : le père de ces rois en question. Que ce soit les rois rouge, bleu, blanc ou noir, tous se partagent la région, mais toujours avec la même conduite dictatoriale. Mais ce qui va intéresser, c’est notamment la région de Sanyo dont le peuple souffre depuis plusieurs années de la cruauté du roi rouge. Pourtant, il est dit dans le village de Byakko que l’espoir apparaîtra avec Tatara, un garçon qui serait promis à une grande destinée car il est l’élu : celui qui bâtira un nouveau monde quand la tyrannie ne sera plus. Mais voilà que la troupe du roi rouge se rend dans le village afin d’éliminer cette menace. Après un terrible massacre, c’est finalement la sœur de Tatara : Sarasa qui prendra la place de son frère en se faisant passer pour l’élu et donc pour un homme. Son but : venger les siens (sa famille ayant été décimée) et offrir l’espoir tant attendu des survivants de Byakko.
Autant le dire, quand on lit ce titre, on est assez surpris par cet univers. Le contexte ne surprend pas, mais par contre, l’époque si. On découvre des terres arides et des paysages parfois sans végétation. Cela est lié à la terrible catastrophe qui s’est déroulé avant que l’on commence le manga. Un élément dont les lecteurs n’ont donc pas réellement connaissance mais qui leur fait comprendre que les personnages vivent souvent dans des conditions difficiles. On est donc assez vite transportés dans cet univers qui est renforcé par un pouvoir politique tyrannique puisque l’empereur et ses quatre fils ne font guère preuve d’empathie.
Basara est un shôjo que l’on peut qualifier d’épique. En effet, il exalte les qualités morales de son héroïne qui devra apprendre à faire preuve de sacrifices, de stoïcisme et de beaucoup d’abnégation, mais plus loin, c’est aussi l’exaltation de tous ceux qui suivront la jeune fille et qui rejoindront son combat. Si au début, on découvre une héroïne assez insouciante voire pure, on découvre par la suite une personnalité de plus en plus affirmée. A partir du moment où Sarasa choisit d’embrasser la destinée qu’elle pense être celle de son frère, un long chemin vers la maturité se fait en parallèle. Sarasa, sans réellement le vouloir a cette qualité assez exceptionnelle de fédérer les gens. Pourtant, on a tendance à oublier que parfois, elle n’est encore qu’une adolescente qui vit des choses bien trop dures pour son âge car dans Basara : souffrances et morts sont très nombreuses. Sans compter que la route vers le roi Rouge est semée d’embûches. Ce parcours initiatique ne manquera pas de faire évoluer la mentalité de Sarasa tout au long des vingt-sept tomes offerts par la mangaka.
Mais Basara, c’est aussi une romance… contrariée. Si vous aimez ce type d’histoires, vous ne pourrez qu’adorer la romance passionnée mais compliquée entre les deux héros principaux. J’aime à le répéter, mais ce manga, c’est réellement un dilemme cornélien pour moi. Sarasa et Shuri vivent le coup de foudre, l’unique, celui qui fait dire que l’on sait que l’on passera le reste de sa vie avec cette personne. Mais voilà, tout est placé sous le signe de la fatalité. Elle est l’élue, celle qui est destinée à tuer le roi Rouge pour créer ce nouveau monde tandis qu’il est le roi Rouge, promis à de grands projets qui pourraient être remis en cause par Tatara. Ce conflit d’intérêt est omniprésent tout le long, mais il est surtout accentué par une forme d’ironie tragique dans la mesure où les deux personnages ne savent rien du statut respectif de l’autre. Et pendant une longue période, nos deux personnages vont apprendre à se connaître, à s’aimer et à construire cet amour sans se douter que leur ennemi est face à eux. Forcément, tout cela donne une intensité terrible à cette romance car on se demande ce qu’il adviendra quand les deux personnages sauront la vérité et autant dire qu’une fois que celle-ci sera dévoilée, un véritable coup de massue tombera sur leurs têtes. Il est vrai que le thème de la vengeance est souvent abordé, mais la qualité admirable de Yumi Tamura, c’est de savoir parfaitement conjuguer raisons et sentiments, passions et haines et nombreux rebondissements politico-sentimentaux (j’invente des termes^^). D’autant que pour nous, lecteurs, se pose aussi un véritable crève-cœur car on a appris à aimer ce couple et savoir qu’ils ne savent pas qui ils sont, donne l’impression que la finalité ne pourra être que funeste. Je ne vous dirais pas pour autant comment cela se finit.
Par ailleurs, ce qui est aussi très remarquable dans ce shôjo, c’est la forte dimension psychologique de ses personnages et notamment des deux personnages principaux. Basara a le mérite d’offrir une galerie de personnages très diversifiés et le plus souvent attachants. Même ceux qui semblent avoir un mauvais fond ne sont pas forcément si méchants. Les personnalités sont merveilleusement bien détaillées. Comme je l’ai dit au début, l’héroïne est loin des shôjo classiques avec une héroïne trop fleur bleue. Si Sarasa possède un côté naïf au début (mais propre à son âge), elle est aussi une héroïne déterminée, avec des convictions et qui se construit. A cet égard, cela vous rappellera peut-être Aki dans La Fleur Millénaire (histoire de vous appâter encore plus). C’est une héroïne qu’on voit douter, qui se cherche, qui ne sait pas toujours comment avancer, vivant des choses incroyables pour son âge, mais qui s’améliore, qui apprend et qui va réellement toucher par cette force intérieure indescriptible. Du côté de Shuri, on découvre un personnage à la fois agaçant, mais attachant. Shuri, c’est un fort caractère. Il est imbu de lui-même et le revendique. Il n’a pas peur d’assumer ce qu’il est. Et pourtant, la mangaka parviendra à montrer les petites failles du personnage, à briser cette carapace forgée par son enfance difficile. C’est un personnage qui va aussi se remettre en question, qui va comprendre ses erreurs et qui va quelque part, peut-être faire la paix avec lui-même d’une certaine manière. Shuri est un personnage charismatique. Il fascine même si parfois, il peut également effrayer. J’ai adoré ce personnage, mais surtout, c’est les interactions avec Sarasa qui touchent, car quelque part, si les deux personnages changent, c’est parce qu’ils ont été capable de remettre en cause ce en quoi ils croyaient, de prendre cette distance qu'ils devaient prendre pour comprendre et assimiler. Leur finalité n’en est que plus sublime.
A côté de ces deux personnages, il ne faut pas en oublier d’autres qui auront le mérite de toucher comme Asagi qui s’avère être un personnage complexe, mais profondément meurtri dans le fond ou Papillon de Nuit, un personnage dont j’ai apprécié le cheminement. Ce qui est intéressant, c’est que la mangaka offre souvent des personnages avec de nombreuses contradictions, mais c’est cela qui plaît : des personnages avec leurs tares et pour lesquels on appréciera davantage l’évolution.
Enfin, je pense qu’il faut terminer Basara en parlant de sa forte dimension sociale. Encore une fois, ce titre prouve qu’il n’est pas un shôjo comme les autres. En effet, si Sarasa prend les armes pour se venger au début, on constate au fur et à mesure que sa quête prend d’autres proportions. Elle découvre d’autres personnes qui vivent des conditions encore plus effroyables. Sa quête prend un tour plus libérateur. A l’instar d’un personnage comme Gavroche devenu un symbole dans Les Misérables, ici, c’est la même chose : Sarasa se fait l’écho de tout un peuple vivant souvent dans l’oppression. La mangaka ne manque pas de faire passer implicitement un message. Sans doute parce que ce type de situations trouve écho même aujourd’hui. Par ailleurs, si Sarasa pense que le roi rouge est un roi tyrannique, on découvre qu’il n’en est rien. Shuri est en fait un roi assez altruiste. Il tente de faire attention à ses sujets et surtout, il a lui-même une revanche à prendre sur son père dont il connait les abus. C’est un homme de guerre, mais un homme qui reste dans une certaine mesure juste (cela n'enlève rien à ce qu'il a fait au début pour autant). Au fur et à mesure de l’avancée, je dois bien avouer que je ne savais plus si la quête de Shuri ou celle de Sarasa était la plus légitime. En effet, dans l’absolu, ils défendent une cause juste de manière différente, mais dans le fond, difficile de dire si l’un ou l’autre avait raison d'autant que cela n’occulte pas les nombreuses morts et souffrances qui en ont découlé. Au final, la fin choisit de prendre parti sans prendre réellement parti, mais on sent qu’il y a une forme de renouveau, même si celui-ci ne se fera pas sans difficultés vraisemblablement.
Ce qu’il faut retenir dans ce titre, c’est sans aucun doute cette narration haletante. Elle se veut parfois forte comme pour refléter le dynamisme permanent du titre, mais aussi fine quand il s’agit de montrer les émois qui traversent les personnages. C’est une narration qui laisse rarement des temps morts, difficile de s’ennuyer quand on lit Basara, pour notre plus grand plaisir !
Concernant le graphisme, le style de la mangaka est particulier. L'esthétisme n'est pas forcément ce qui marque, même si les grands yeux ronds ou ovales des personnages ont un petit charme. Mais étrangement, on s'habitue à ce trait un peu bancal, pas très bien proportionné et qui en vient même à donner un aspect épuré non désagréable. Il faut quand même aimer le style, mais j'ai toutefois apprécié le travail fait sur les décors, même si forcément, c'est inégal.
Basara est un manga qui confronte divers genres, divers thèmes et diverses personnalités marquantes. C’est un titre dont on se délecte et qui réussit un vrai tour de force en empruntant dans divers genres sans oublier en fil conducteur cette romance grandiose. Un INCONTOURNABLE à avoir dans toutes bonnes bibliothèques mangas.
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