Voilà, d’emblée, qui est confondant. Alors que j’aurais juré que, de Basilisk à Ouka Ninja Scrolls – que je rebaptiserai Basilisk 2 par pure fainéantise – le dessinateur aurait changé, il n’en est rien. À vrai dire, seul l’auteur est ici déficient. Contrairement au précédent volet – quelle épopée mes aïeux – Basilisk 2 n’est pas issu d’un roman de Futarô Yamada, mais d’une idée originale et incongrue signée Masaki Yamada qui, en ce qui le concerne, aura principalement œuvré comme character designer pour divers animes. Le fait qu’il porte le même nom de famille que le précédent auteur et le même prénom que le dessinateur, Masaki Segawa, a de quoi nous perdre.
Toujours est-il que c’est d’abord le dessin qui nous donnera le sentiment de frayer avec l’inconnu. Le gore y est, parfois plus outrecuidant que nécessaire quoi qu’appréciable néanmoins, mais les visages lissés aux grands yeux brillant jouent pour beaucoup à aseptiser ce qui avait fait buriné l’aspect brutal de l’œuvre précédente. Les trames graphiques, du reste, y sont beaucoup moins sombres et plus épurées. On s’en contente, mais à contrecœur lorsque l’on sait quels sentiments pouvaient vous suggérer les dessins de Basilisk ; des esquisses qui, si elles n’étaient pas exceptionnelles, étaient toutefois taillées sur mesure pour recouvrir l’œuvre qu’elle furent amenées à servir.
Ici, on aura même droit à des grimaces mignonnes « gag manga » qui ne contribuent qu’à mieux décrédibiliser ce qui avait fait le sel de l’œuvre précédente.
Le personnage principal, Hachirô, est un enfant aux idées nobles. Lui ne veut pas être un de ces ninjas qui, selon les ordres donnés, pourraient être amenés à tuer ceux qu’ils aiment. Un peu à la manière d'un pompier qui souhaite revêtir l'uniforme sans toutefois jamais vouloir éteindre un incendie. Son credo c’est, je cite « de protéger ceux que j’aime, dussé-je affronter les dieux eux-mêmes. »
On t’a reconnu, Naruto, enlève ce cache-œil et fous-moi le camp d’ici au plus vite. Masaki Yamada – dont j’espère qu’il n’est pas un descendant de Futarô Yamada – trahit le propos même de ce qui avait fait Basilisk… à savoir une mentalité impitoyable de la part des protagonistes. Pas de grands discours, pas de bons sentiments ; rien qu’un sens du devoir qui les conduira parfois à équarrir le tout venant. On tombe de haut et on se réceptionne sur les roustons, l’auteur est complètement à côté de la plaque. Aurait-il intitulé son œuvre The Ouka Ninja Scrolls que je n’aurais pas battu un cil, mais il aura fallu qu’il ajoute la mention « Basilisk » en préambule. Or, ce label de qualité incontestable, on le sait usurpé dès le premier chapitre qu’on sera amené à lire. Car les deux œuvres n’ont décidément rien à voir entre elles.
Les combats sont lamentables. Des techniques qu’on croirait encore une fois puisées du répertoire de Naruto, avec des invocations de créatures démoniaques, des pouvoirs sans queue ni tête capables de vaincre cinq ninjas de Oga et Koga en deux pages de temps… On jurerait que l’auteur prend un malin plaisir à profaner tout ce que fut Basilisk pour ne rien apporter de profitable en retour. C’est une machine à glaviots perpétuels qu’on trouve sous nos yeux, et il faut essuyer un mollard à chaque page qu’on tourne. Figurez-vous que ces deux enfants aux joues roses qui nous sont présentés s’avèrent être rien moins que les enfants de Gennosuke et Oboro.
Vous savez ? Gennosuke et Oboro, ces amants maudits qui meurent à la fin de Basilisk sans avoir engendré de descendance ? Eh bien figurez-vous qu’ils ont eu des enfants.
La reproduction, chez les ninjas : c’est compliqué. C'est pour ça qu'on ne s'embarrassera pas ici à nous expliciter la matérialité du processus.
Cela ne suffit pas à cette œuvre d’usurper un nom qu’elle ne mérite décemment pas, il faut en plus qu’elle cherche à s’improviser comme une suite sans tenir compte de ce qui s’était écrit précédemment. Reprendre un trésor comme Basilisk pour en faire une suite, cela doit s’accomplir minutieusement ; on devrait en principe avoir les mains qui tremblent à la seule idée de se saisir d’un pareil contenu pour s’en faire le prolongateur. Masaki Yamada, il a pas ces scrupules ; il n’a pas non plus une seule bonne idée à mettre en avant, allant jusqu’à lier son œuvre à Basilisk malgré les incohérences criantes que suggère cette parenté improbable.
Hachirô a purement et simplement hérité du pouvoir de son « père ». Lui-même le partageait avec son oncle, aussi je ne m’offusque pas du principe – bien que l’hérédité n’ait ici aucun sens du fait de l’impossibilité du lignage – mais plutôt du manque d’originalité. Le pouvoir oculaire de Gennosuke a été exploité et dévoilé sous toutes ses coutures. Il n’y a pas une technique à ajouter au répertoire ; aussi le pouvoir dont nous serons les témoins ici sera celui d’une redite sans saveur ni intérêt.
Ah, oui, aussi... Hibiki a le même pouvoir que sa « mère ». Quel travail d’écriture remarquable, je suis ébloui. À moins que ça soit parce que je me suis enfoncé les deux pouces dans les yeux pour ne pas avoir à lire cette disgrâce. The Ouka Ninja Scrolls – que je me refuse finalement à nommer Basilisk 2 tant elle ne mérite pas cet honneur – en dépit de son appellation Seinen, est un Shônen gogol avec une dose de sang moins mesurée. Rien qu’un Samurai Deeper Kyo sous stéroïdes.
Les affrontements spectaculaires – en parfaite contradiction avec ce que furent les joutes tactiques et sournoises de Basilisk – déballent un triste spectacle bruyant et enrobé d’une lumière contrastant de beaucoup avec l’ombre supposée dans laquelle devraient se tenir les ninjas. Les personnages n’ont aucun caractère, aucun intérêt, ne suggèrent ni la sympathie ou l’antipathie, rien qu’un profond désintérêt pour ce qu’ils cherchent vainement à incarner sur le papier. Que ce soit le sort des uns ou des autres, on s’en détourne très volontiers, attendant avec impatience la délivrance que sera la fin d’une œuvre mort-née.
Au menu par la suite, révisionnisme historique entourant Nobunaga, comme avec Samurai Deeper Kyo d’ailleurs, afin de donner du corps à un scénario qui n’a pas de colonne vertébrale ni de cervelle. Ajoutez à ça une action confuse et bordélique, du christianisme magique – oui, des antagonistes ninjas tiennent leurs pouvoir de Jésus de Nazareth – ou encore quelques déclamations philosophique niveau Kévin, collégien de Calais le tout, avec le fameux Yasuke délivré en cerise au cyanure sur le gâteau merdeux, celui sur qui on aura écrit tant de légendes pour ne pas avoir à dire ce qu’il fut réellement sur le plan historique, et vous tenez là l'un des plus savoureux purgatifs qu'il vous sera permis de déguster.
Les dessins sont parfois immondes tant ils sont saturés d’effets tapageurs. Je ne sais pas comment le même dessinateur de Basilisk a pu compromettre son art au point de le rendre illisible. C’est un désastre à chaque case qui vient. Mais comme je l’écrivais plus tôt, si le dessin de Basilisk ne fut pas exceptionnel, il fut en tout point conforme aux tons de l’œuvre. Aussi pourrait-on dire la même chose de ce dessin-ci, dont on comprendra qu’il se soit avili considérablement afin de se conformer à l’histoire navrante dont il se faisait le complice.
Une histoire qui trouvera sa conclusion dans une mièvrerie sirupeuse où, au nom de l’Amour et des petits oiseau ;, les ninjas étant à présent libres de vivre en paix. Et pourquoi pas avec des congés payés tant qu'on y est. Sans avoir à en assumer les conséquences de cette vie nouvelle. Ce qui est… la parfaite contre-indication de ce que fut Basilisk. Chaque pan de l’identité de Basilisk aura en effet été retourné dans cette œuvre-ci pour incarner l’exact inverse de ses valeurs et, tout particulièrement de ce qui avait constitué son intérêt. C’est l’exact anté-Basilisk qu’on lit ici, son pendant contraire ; tout ce que n’était pas Basilisk se trouve ici, dans The Ouka Ninja Scrolls.
Le sabotage se sera ainsi accompli dans les grandes largeurs sans jamais faillir du premier au dernier chapitre. Et, comble du culot, The Ouka Ninja Scrolls aura même eu l’audace de durer deux volumes de plus que Basilisk ; car il avait tant à raconter, tant à profaner, que cela valut bien la parution de sept volumes infects.