Le totem de Gotham City

Premier arc narratif de la série Legends of the Dark Knight, un titre lancé par DC en 1989 dans la continuité des succès de Frank Miller et du Batman de Tim Burton. Au niveau chronologique le récit commence un an avant le Year One et se poursuit dans le courant de la première année. C'est donc un titre qui explore (partiellement) la construction du personnage de Batman et sa période d'apprentissage. Si ce Batman manque encore un peu de réflexes dans les combats au corps à corps et doit se faire soigner après chaque sortie nocturne, il a déjà acquis de sérieuses facultés de détective et commence peu à peu à nouer une relation de confiance avec le Gotham PD et son (récemment promu) capitaine Jim Gordon.

O'Neil livre un récit savoureux et original, la naissance d'une légende entourée de mysticisme chamanique et de traditions orales autochtones. Bruce Wayne est encore dans une phase décisive où il n’a pas encore complètement habité le personnage de Batman, ce qui explique qu’on le voit plus souvent dans son costume de ville qu’à l’accoutumée : dans un gala de charité, à l’hôpital, dans son jet privé, ou plus simplement en train de prendre la température de la ville en se baladant en voiture et s’arrêtant « accidentellement » sur une scène de crime pour saluer le capitaine Gordon, ou encore – et c’est assez cocasse – dans des déguisements pour le moins originaux pour approcher une cible ou rencontrer secrètement Gordon. Il est encore en train de façonner son alter-ego, travailler ses alibis – et sa goujaterie – comme lorsqu’il quitte précipitamment une soirée au bras d’une charmante jeune femme qu’il plantera devant chez elle pour aller chasser les criminels dans son costume d’homme chauve-souris ou encore lorsqu’il s’invente des parties de tennis viriles pour expliquer des ecchymoses.

Finalement c’est au contact de deux autochtones d’Alaska, un chaman et sa fille, qu’il est confronté à ce choix définitif qui ne devra plus le quitter : soit il portera le masque et le costume tel un déguisement, une armure, soit il libérera celui qu’il est réellement depuis le meurtre de ses parents pour incarner pleinement le totem représenté par ce costume. Un véritable rite initiatique.

Du côté graphique l'album pêche par un dessin assez inégal selon les pages et une colorisation tout aussi aléatoire, avec de belles pages dans les couleurs secondaires et d'autres beaucoup plus monotones. C'est pourtant Richmond Lewis (Year One) à la palette et on ne peut pas dire qu'elle soit maladroite. Mais dans le trait, l'encrage, la constance, quelque chose ne prend pas. Rétrospectivement certaines pages sont quand même délicieusement datées et terriblement catchy à l'oeil.