Dans la droite lignée des Legends of the dark knight ou des désormais bien connues compil' Batman Black and White, on découvre dans ce tome 14 petites histoires du chevalier, d'une douzaine de pages chacune, qui ont pour originalité d'avoir été écrites par des équipes créatives d'autant de pays différents aux quatre coins du monde. Le contrat initial, assez partiellement rempli, était de montrer comment la figure de Batman pouvait être réinterprétée en regard des spécificités locales de chaque culture.
Comme dans tous les projets anthologiques du genre, il y a à boire et à manger tant graphiquement que narrativement et les appréciations des histoires seront assez variables suivant la personnalité. Dans le haut du panier, on peut retrouver à mon avis la française, qui présente une chasse Bruce Selina au Louvre assez classique mais très jolie et qui utilise bien un troisième personnage que je ne spoilerai pas. L'espagnole a l'audace de proposer, dans un trait tranche de vie super aguicheur, un Bruce en vacance qui raccroche enfin la cape. La russe présente une chouette histoire intimiste qui ne sera pas sans rappeler les titres types C'est un oiseau.
On a des parties plus contrastées. La version italienne de l'histoire, racontée à l'envers, est assez intéressante au niveau de son montage mais on s'en tient à cette astuce de scénar. La version japonaise (contrairement à la coréenne et à la chinoise) ose conserver ses codes graphiques résolument personnels et est très jolie mais ne propose rien d'hallucinant. La version allemande n'a guère que son autodérision pince sans rire pour elle, et l'approche tchèque comme la brésilienne présenteront des histoires beaucoup trop classiques même si elles comportent chacune un mini-commentaire sur un fait de société ou d'histoire propre à leur pays. La version mexicaine est ambitieuse, trop sans doute, et si son côté pseudo-numérique et néon est le support d'un discours à la fois fantastique et réaliste très intéressant sur les meurtres de femmes, l'exécution ne m'a pas parlé. La coréenne a un petit côté sympa mais l'écriture ne se tient pas très bien, on a du mal à saisir les rôles des personnages même s'ils partagent de chouettes bagarres.
Le reste m'apparaît franchement raté ou sans intérêt. La proposition de Azzarello et Bermejo qui ouvre le recueil est une daube improvisée en dix minutes et ça se voit. Quelque part le symbole est intéressant, on évacue vite l'école américaine qui n'est pas celle qu'on attend dans un recueil de ce type. L'histoire polonaise est absolument sans intérêt, en plus d'être un peu coconne (d'ailleurs personne ne semble faire le rapprochement dans le recueil entre l'arrivée conjointe de Bruce Wayne et celle de Batman dans des endroits random où il ne fout jamais les pieds genre Varsovie). La version turque est une espèce de brochure touristique impérialiste mal déguisée en intrigue Batman, c'est involontairement rigolo mais c'est très mal écrit. La version chinoise est infantile et laide.
Le résultat n'est pas splendide mais j'aime bien l'idée du projet. A généraliser plus radicalement, puisqu'on a l'impression que tout le monde n'a pas "joué le jeu" à fond.
Je suis un peu sévère mais il y a tout de même une volonté, tout en jouant sur des clichés, de parler différemment, pour du comics, des sociétés en question.
La Pologne veut vendre ses capacités informatiques, la France et l'Espagne un art de vie, le Mexique et le Brésil parle des violences endémiques de leur société et de la nécessité pour les gens de la base de se révolter sans attendre seulement l'intervention des héros, la Russie dit quelque chose de la manière dont l'appareil d'état a créé des politiques culturelles etc.
Ce petit délire géopolitique est bien sympa finalement, pour ses idées plus que pour ses résultats sans doute.
Je dirais que l'oeuvre se lit bien en repensant à des moments de comics débiles qui nous ont tous fait rire, comme la géographie absurde de Paris où le Louvre est à cinquante mètres de la tour Eiffel et de l'Arc de triomphe en plein Montmartre dans certaines séries super-héroïques, les éternelles steppes glacées à usines de soviet ou les pagodes à ninja plantées au milieu de la ville.