Voir Batman aux abois est quelque chose qui m'a toujours plu et intéressé. Autant dire qu'avec White Knight, j'ai été servi ! Sean Murphy nous offre ici une histoire dans lequel le Joker redevient Jack Napier, la face cachée du Clown prince du crime et décide d'être le chevalier blanc de Gotham, à la surprise générale. L'équilibre qui caractérise Gotham depuis tant d'années va être complètement renversé. En effet, Napier va retourner la ville contre le Chevalier Noir qui va se retrouver au pied du mur, incapable de se faire à l'idée que le Joker puisse être guéri mais également incapable de trouver le moyen de contre-carrer son plan (à supposer qu'il y en ait un).
De manière imagée, on pourrait dire que Batman est sur une pente, en pleine chute libre, incapable de trouver la moindre prise pour l'arrêter. Le Joker lui annonce même la couleur dès les premières pages : "it's all falling apart and you're incapable of stopping it!". A la différence d'Arkham Asylum dans lequel Batman doute de sa propre raison, le roman graphique de Grant Morrison posant clairement la question "et si, après tout, le Justicier de Gotham avait sa place à l'asile au côté de tous les super-criminels qu'il a passé sa vie à combattre ?", c'est ce qu'il représente, sa manière de procéder et son rôle qu'il a tenu avec ferveur depuis tout ce temps qui va profondément être remis en cause dans White Knight.
Si vous n'avez pas encore lu White Knight, je vous conseillerais de poursuivre la lecture de cette critique une fois celle du comics achevée car les paragraphes qui vont suivre s'attardent sur certains points de l'intrigue.
Entre Nightwing qui lui tient tête, Gordon qui commence à revoir sa manière de penser étant de plus en plus convaincu par le discours de Napier, et notamment par son idée de Groupe Tactique Opérationnel (GTO), et la perte d'Alfred, Batman, mais également Bruce Wayne, est complètement déboussolé. Cela est souligné par la brutalité et l'agressivité dont il fait preuve à plusieurs reprises. Partant, le Chevalier Noir, qui s'obstine à aller à contre-courant, la population et les forces de l'ordre tombant de plus en plus sous le charme de Napier, s'isole de plus en plus, laissant le lecteur, qui ne peut s'empêcher de s'interroger, dans l'incertitude.
La dualité en termes de personnalité a toujours été un trait caractéristique de Batman puisqu'une fois le masque enfilé, Bruce Wayne n'est plus simplement Bruce Wayne, il devient un symbole. La réflexion autour du masque est d'ailleurs abordée sous un angle intéressant à la fin de White Knight ("sometimes I'm not sure why I wear the mask. Is it to scare them? Or is it because I scare myself?" dit-il à Gordon avant, justement, d'ôter son masque). Cependant, pour revenir sur la thématique de la dualité, cette dernière est ici étendue au Joker puisque Sean Murphy dévoile une facette du personnage qui n'a jamais été véritablement exploitée en nous donnant un aperçu de ce à quoi le némésis de Batman pourrait ressembler s'il avait toute sa tête. Killing Joke, qui nous révélait les origines du Clown psychopathe, nous présentait brièvement, par le biais de flash back, la vie du Joker avant qu'il ne devienne le super-criminel : il s'agissait, dans le comics culte d'Alan Moore, d'un comédien raté qui s'était laissé embarqué dans un braquage qui a mal tourné. Dans White Knight, Jack Napier est un homme très intelligent qui va devenir une figure politique montante, malgré son passé de criminel, et qui réussit à garder le contrôle de son esprit sur le Joker grâce à des pilules.
En réalité, Murphy ne s'attarde pas sur qui était ni sur ce que faisait Napier avant de devenir le Joker (l'une des rares informations sur ce point que l'on a est qu'il a, lui aussi, été comédien il fût un temps) mais sur ce qu'il compte faire pour Gotham. Prendre la défense des défavorisés et mettre fin au règne de terreur de Batman constituent le fer de lance de son programme politique. Si pour gagner en crédibilité, Napier recourt aux autres super-criminels de Gotham (on peut souligner (et regretter) ici l'absence totale de développement les concernant mais, en même temps, ils ne sont pas essentiels à l'intrigue), c'est avant tout en posant les questions qui font mal qu'il va réussir à faire changer les mentalités : Batman doit-il exister ? N'y a t-il pas d'autres solutions pour lutter contre le crime à Gotham ? Le Joker existe t-il à cause de Batman ou inversement ?
Je m'éloigne un peu mais la dernière question m'a beaucoup fait penser à ce que dit Vision dans Captain America : Civil War aux autres Avengers : "our very strength invites challenge. Challenge incites conflict. And conflict... breeds catastrophe". Très tôt dans le comics, le Joker pousse le propos encore plus loin en disant à Batman : "crime has become your therapy, and Gotham your victim. You've dragged us all into your perpetual Halloween!". Il y a ce rapport d'inter-dépendance que Batman refuse d'admettre et qui relève de l'évidence aux yeux du Joker, qui parle même de situation de couple. Cela prend davantage d'ampleur dans le second chapitre, dans lequel Harley Quinn révèle clairement que le Joker est amoureux de Batman. Là encore, on retrouve, au sein de la relation unissant les deux ennemis, cette sorte de frustration, qui est plus ou moins prononcée d'une histoire à l'autre, car l'un est persuadé qu'ils forment une équipe et qu'ils se complètent tandis que l'autre nie en bloc (la scène de Lego Batman dans laquelle le Chevalier Noir dit au Clown qu'il n'y a rien entre eux fait même mal au cœur (il ne s'agit pas de la meilleure des références possibles, j'en conviens, mais je suis retombé dessus en écrivant cette critique et j'ai trouvé qu'elle soulignait bien cette idée)).
En somme, comme le dit Napier, l'amour et la haine sont les deux faces d'une même pièce, tout comme Batman et Bruce Wayne, le Joker et Jack Napier ou Harley Quinn et Harleen Quinzel. Présenter les choses de cette façon me permet de vous faire part du rapprochement avec The Dark Knight qui m'avait sauté aux yeux (comme beaucoup je pense) lorsque je suis tombé sur White Knight puisque, dans le film de Christopher Nolan, le chevalier blanc n'était pas le Clown psychopathe mais Harvey Dent, qui devient par la suite Double-Face, autre grand ennemi du justicier masqué de Gotham qui prend ses décisions en jouant à pile ou face. Cependant, et de manière assez ironique, ces deux personnages apparaissent comme n'étant pas si différents, étant donné leur instabilité mentale. Difficile de ne pas penser aussi à The Dark Knight lorsque Batman dit à Gordon à la fin du comics "that's how Napier beat us" qui renvoie à l'une des dernières répliques du film ("but the Joker cannot win").
White Knight m'a également fait penser à Civil War avec le plan de Napier consistant à responsabiliser Batman et ses acolytes avec la mise en place du GTO, une unité rassemblant les justiciers et les agents des forces de l'ordre et financée par les fonds qui étaient jusqu'ici destinés à réparer les dégâts causés par les interventions du Chevalier Noir dans le cadre de sa lutte contre les super-criminels, qui n'est pas sans rappeler les accords de Sokovie. Cela est d'autant plus frappant dans la mesure où Nightwing et Batgril vont finir par rejoindre le GTO, alors que Batman s'y oppose vigoureusement, créant naturellement des tensions au sein du trio, à l'instar de celles entre Captain America et Iron Man dans le film Marvel.
Il y a lieu maintenant d'évoquer un autre point du comics car si la relation entre le Joker et Batman est particulièrement bien traitée et présentée sous un angle très différent de ce à quoi on pourrait s'attendre lorsqu'il est question d'une confrontation entre les ces deux éternels ennemis, White Night s'attarde également sur le personnage d'Harley Quinn. Très vite, elle se retrouve de nouveau au côté de son amant, qu'elle va soutenir dans sa campagne politique, mais ce n'est que durant la dernière conversation avec Batman que son importance dans l'intrigue se révèle véritablement : elle est au cœur de la résolution et le twist donne une autre dimension au personnage mais également à l'histoire. Pour ma part, cette avant dernière double page est d'une efficacité implacable.
En revanche, j'avoue avoir été interloqué lorsqu'on apprend, dans le second chapitre, qu'il n'y a non pas une mais deux Harley Quinn. Cela étant dit, en poursuivant ma lecture, j'ai trouvé que ce choix était, finalement, très approprié puisque la thématique du dédoublement de la personnalité des protagonistes principaux est, encore une fois, le cœur de ce récit (sans compter que la Néo-Joker en devenir a droit à un minimum de back story pour nous expliquer d'où est-ce qu'elle sort et d'y voir plus clair). Ce qui m'a plus dérangé, en termes de cohérence de l'écriture, est d'avoir montrer la Harley Quinn originale et repentie (elle ne souhaite, en effet, pas le retour du Joker mais est persuadé que Napier peut faire changer les choses à Gotham) dans son costume de super-vilain. Il pourrait être soutenu qu'en faisant cela, Murphy a souhaité accentuer le trait sur la personnalité duale d'Harley mais cette facette du personnage est exploitée à travers la seconde Harley Quinn, qui cherche à faire replonger Napier dans la folie, si bien que j'estime qu'il n'était, au fond, pas nécessaire de nous montrer Harleen Quinzel dans ses collants rouges et noirs.
En ce qui concerne l'aspect graphique du comics, je suis complètement tombé sous le charme car, en plus d'avoir trouvé les planches superbes, je trouve que le style adopté par Murphy est parfaitement approprié pour raconter cette histoire (contrairement au Dark Prince Charming d'Enrico Marini qui est très beau mais qui manque de fond). Je ne serais l'expliqué plus en détail mais j'ai trouvé que l'alliance du scénario et du dessin fonctionnait très bien. J'ai, enfin, particulièrement apprécié les Batmobiles : niveau fan service, Murphy fait ici plaisir au lecteur en reprenant les modèles vus dans les films et autres comics sur le Chevalier Noir de Gotham.
Vous l'aurez compris, j'ai pris grand plaisir à découvrir White Knight qui est très certainement l'une des histoires de Batman les plus originales que j'ai pu lire depuis que j'ai décidé de m'intéresser davantage au personnage du Joker ! Sean Murphy fait des merveilles avec son coup de crayon et berne le lecteur tout le long ! Il me tarde donc de découvrir ce qu'il nous réserve pour la suite ! 8/10 !