Certains croient que le génie est héréditaire, les autres ont des petits-enfants


À lire en complément de ma critique de Jojo's Bizarre Adventure.



En matière de Jojo, il y a un avant et un après. Il y a les stands, et il y ce qui les ont précédés. Battle Tendency comme Phantom Blood a le mauvais sens d'être né avant que n'advienne l'élément central et constitutif d'une saga que les deux premières parties ont pourtant contribué à impulser. Pour autant, les deux parties furent-elles indispensables ? La première a pour elle d'avoir situé l'origine d'une intrigue s'étalant sur plus de trente ans de parution, mais Battle Tendency, qu'a-t-elle à faire valoir ? Quand on se distingue du reste, il faut savoir se démarquer. Alors, en quoi cette deuxième partie a-t-elle marqué les esprits ? Quand on sait que Jojo's Bizarre Adventure sans les stands n'est guère plus qu'un beau squelette sans chair, on est en droit de se demander si l'on s'apprête à ronger les os d'une partie dont on pourrait suspecter qu'elle n'a pas de corps. Et pourtant, elle ne démérite pas. En réalité, se sont par la suite estompées des qualités qui lui étaient propres et que la saga aurait gagné à maintenir vivaces les années passant.


Ce que Jojo's Bizarre Adventure a gagné en génie technique avec les stands, elle l'a perdu petit à petit pour ce qui est de l'émotion. La déliquescence de ce qui se voulait l'âme enrobant le squelette du manga se sera estompée graduellement, avec quelques retours fugaces, mais Araki n'aura, suite à Battle Tendency, jamais su faire crier le nom d'un de ses personnages avec la même emphase que ne fut prononcé celui de Caesar. En ce temps là, les personnages principaux de Jojo's Bizarre Adventure, même si parfois rudimentaires dans leur élaboration, avaient un cachet et du charisme à revendre. Tout cela s'est perdu depuis Golden Wind et, relire Battle Tendency vous en donne l'aperçu flagrant de ce que nous autres, lecteurs, avons perdu depuis.
Aujourd'hui et depuis longtemps maintenant, la mise en scène n'est plus qu'employée à la seule contribution de tout ce qui a trait à l'action du moment, ce génie scénographique n'étant hélas plus alloué à l'édification de personnalités fortes et attachantes. Comme sujet à un pacte faustien, Hirohiko Araki aura semble-t-il gagné ses talents pour rapporter ses combats au détriment de la sensibilité de son œuvre.
À l'aune de ce constat implacable, l'on comprend alors que Battle Tendency se démarque des autres parties en ce sens où le cœur de la saga n'aura jamais battu aussi fort que le temps de ces sept volumes.


Figurez-vous, car vous l'ignorez sans doute, que je suis expert en jojologie. Ce don du ciel, je le dois au fait d'être moi-même un Jojo (il suffit simplement de rajouter un «e» devant le «a» de «Bigaut»). Et, en tant qu'expert auto-proclamé mais toutefois reconnu par un collège d'érudits dont je suis le président et membre exécutif, je puis attester en toute objectivité que Joseph Joestar fut - toujours objectivement - le meilleur Jojo de la saga. Certains pourront éventuellement contester, mais ils le feront en vain. Joseph Joestar est le Jojo le plus complet de Jojo's Bizarre Adventure ; je le dis et je le démontre.
Quand ceux qui lui ont succédé - et même son prédécesseur - étaient des personnages unidimensionnels, lui se révèle sous les facettes les plus riches et clinquantes. Jonathan incarnait la bravoure et la droiture, Jotarô était un taiseux ascendant ténébreux, Josuke un grand naïf, Giorno un animal froid, Jolyne.... était plutôt bien construite elle aussi, il faut l'admettre et Johnny était creux. Quant au deuxième Josuke, je tairai ce qu'il est par bienséance. Joseph, lui, en revanche était Joseph, une personnalité à part et non pas une face recouvrant deux traits de caractère. Il savait, selon les circonstances, être brave ou lâche, était enjoué au point d'insuffler une bonne humeur contagieuse jusqu'à en infecter le lecteur. Il était drôle, roublard et toujours loin de la perfection ; il était vivant et vrai. Tous, je pense, nous sommes réjouis de l'avoir retrouvé le temps de Stardust Crusaders, plus mature... mais fidèle à lui-même. Nous ne mentionnerons pas, par décence, certaines incursions au Japon étant survenues sur le tard.... c'est bien la première fois que je lis un Shônen où un de ses héros se sera manifesté par ses qualités adultérines.
Alors que je relis le résumé de cet excellent personnage, je me dis qu'un tempérament pareil lui vaudrait presque d'être Français au sens où l'entend l'idéal qu'incarnait ce peuple quand il était encore fidèle à son identité.


Son pendant inverse aura, en revanche, méchamment péché pour ce qui était de laisser une impression. La tâche est ardue pour les protagonistes d'alors puisqu'ils avaient pour inconvénient majeur de passer après Dio. Je n'idolâtre pas ce personnage et ne lui trouve certainement pas autant de qualités que ne le font beaucoup, mais il reste le méchant emblématique et même iconique du manga ; celui dont l'héritage de son règne poursuivra la lignée Joestar sur plus d'un siècle et même au-delà de l'espace et du temps. Kars, au milieu de cet antagonisme ancestral, fera figure de caillou sur la chaussée. Sa présence est presque incongrue et sera bien tôt oubliée par les lecteurs. Il n'aura pas marqué les esprits. D'abord parce que l'auteur n'est certainement pas le mangaka le mieux trouvé pour établir des psychés à ses personnages (exception faite du cas d'école qu'est Yoshikage Kira), mais aussi parce qu'il ne fera que se comporter comme un Dio de synthèse. Or, comme rapporté précédemment, quand on se distingue du reste, il faut savoir se faire remarquer. Qu'y a-t-il de remarquable dans le fait de copier, parfois trait pour trait, les comportements de l'antagoniste qui l'aura précédé ? Wham retirera finalement le titre d'antagoniste le plus marquant de la partie. Il est vrai qu'il est rare de trouver dans Jojo's Bizarre Adventure des ennemis se caractérisant par un certain sens de l'honneur et de la droiture. Si ce n'est N'dul et Ringo Roadagain, les lauréats ne se bousculeront pas par la suite.


Cette noblesse de Wham n'est pas tant une incongruité sur le parcours scriptural entrepris par Araki que le symptôme d'une période éditoriale, celle dans laquelle baignait encore à cette époque Battle Tendency. Le dessin de Tetsuo Hara aura certes inspiré l'auteur, mais une partie de l'écriture de BURONSON aura aussi laissé sa marque sur cette période de publication de Jojo's Bizarre Adventure. Le sens de l'aventure naissait véritablement avec son lot de voyages dans le monde pour s'exacerber plus tard avec Stardust Crusaders, mais surtout, l'idée de la virilité était encore révérée en cette fin de la décennie 1980 jusqu'à la première moitié des années 1990. La virilité à l'ancienne - quoi que burlesque - ce que certaines frigides nomment la «masculinité toxique», c'était le marqueur d'une époque dans l'édition de Shônen et, ne faisant pas exception à ses confrères, Hirohiko Araki et son œuvre étaient le produit de cette époque. Ce qu'ils continueront d'être des années plus tard alors que le dessin s'efféminait au fur et à mesure que les valeurs viriles s'évaporaient du cahier des charges du Shônen-moyen.
Tout n'était pas parfait dans l'ornière de la virilité éditoriale de l'époque, mais cela aura indubitablement façonné un imaginaire et les plus vives émotions qui s'y rattachent.
Finalement, Battle Tendency était un Last Action Movie à l'ancienne très réussi et cuisiné à la sauce nippone ; quand Indiana Jones rencontrait Kurosawa en somme.


Mais ce serait amputer Battle Tendency de bien des mérites que de borner ses atouts à son seul personnage principal et l'atmosphère d'une époque. Les stands n'étaient pas là, certes, mais les confrontations haletantes ne les avaient pas attendus pour étinceler de mille feux. Déjà à l'époque, on sortait du classicisme des combats dans le Shônen - qui en ce temps là étaient pourtant bien plus recherchés et élaborés qu'aujourd'hui - et les batailles au sommet se multipliaient ; que ce fut le revirement de Straizo, Santana chez les nazis, la bulle ensanglantée, la course de char ou le génial combat final contre Kars, tout cela tenait déjà du monument en terme de mise en scène et d'idées. Ce monument, cependant, qui restera dans l'ombre de ceux - plus immenses encore - qu'érigera Araki par la suite.


Bien sûr, Battle Tendency, comme les autres parties de Jojo's Bizarre Adventure souffrira de ses personnages inutiles probablement imposés par les chargés éditoriaux de l'époque. Les personnages secondaires ne brillent déjà pas, mais les tertiaires sont là sans trop qu'on ne sache pourquoi. Des années après ma première lecture, je m'interroge encore sur le pourquoi d'un personnage comme Smokey qui, présent du début à la fin - ou plutôt, au début et à la fin - n'aura strictement servi à rien.
Joseph et sa riche personnalité souffrira du contrecoup de son charme en ne bénéficiant que de trop d'exposition. C'est encore lui qui éradiquera chacun des hommes du pilier, ses alliés n'étant finalement bons qu'à apporter un coup de main ponctuel. Le défaut du héros prédominant sera corrigé dans les parties qui suivront où, tous les personnages principaux auront généralement leurs combats à eux.


Et puis... si j'étais tenu de suggérer la lecture de Battle Tendency de la manière la plus synthétique qui soit, deux mots me suffiraient : Nazi-cyborg. Quand on a dit ça, on a tout dit. Comment ne peut-on pas aimer un manga comptant un officier nazi - qui plus est robotique - parmi ses protagonistes ? Ce serait contre-nature de ne pas adorer cela.


Battle Tendency aura été le creux de la vague précédant le tsunami Stardust Crusaders. La partie aura existé au mauvais moment mais n'aurait pu exister à aucun autre instant. Elle est une déshéritée de l'histoire et des circonstances à laquelle je rends évidemment hommage en ne manquant pas de rappeler ses lettres de noblesse. Dans la rubrique des faits divers, on aurait dit de cette deuxième partie qu'elle s'était trouvée au mauvais endroit au mauvais moment, oubliant alors que des conditions objectives justifiaient finalement sa place et son rang. On n'admire jamais les piliers dans les soubassements qui soutiennent les plus gigantesques et somptueux édifices, pourtant, ils sont là, et c'est à eux que l'on doit notre émerveillement.
Battle Tendency n'était rien moins que le pilier sur lequel se sera érigé la légende, un injuste oublié de l'histoire de la saga dont les bases auront pourtant survécu à ce qui se construira par-dessus. Après tout, Joseph fut le fil directeur liant la deuxième à la troisième partie, l'allumette qui mit le feu aux poudres et à laquelle on doit le spectacle éblouissant qui s'ensuivit. Cela ne tient pas du hasard, Battle Tendency est un pré-Stardust Crusaders tout comme Stardust Crusaders fut la logique continuité de Battle Tendency ; on n'articule pas l'une de ces deux parties sans l'autre, elles sont indissociables et, tout ce que Stardust Crusaders écope de louanges, elle les doit à la partie qui l'a précédé dont elle n'est finalement que la prolongation.

Josselin-B
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le 3 nov. 2020

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Josselin Bigaut

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