Il aura fallu le décès de l’auteur Kentaro Miura et de nombreuses incitations d’amis pour me lancer dans Berserk. Et à vrai dire, ce manga ne m’intéressait aucunement. Car quand on voit les couvertures, Berserk ressemble à tout autre manga ultra sanglant avec un héros aux gros muscles et beaucoup de sexe. Et oui, effectivement, c’est le cas de Berserk. Mais chose rare, tout cela est au service d’un véritable univers et d’un propos.
Quand les fans hurlent sur tous les toits que Berserk est profond, philosophique et incroyablement pertinent, je pense qu’ils exagèrent un peu, mais il y a tout de même beaucoup de vérité dans tout ça. Parce qu’effectivement, c’est vraiment difficile de trouver un manga aussi remarquablement bien écrit, complexe comme il faut, tout en restant divertissant à lire.
Alors quand en plus de ça, on y trouve les plus beaux dessins qu’il m’ait été donné de voir, je ne peux dire que oui.
Berserk ne sera pas une œuvre phare dans ma vie, peut-être parce qu’on m’avait spoilé le moment clé de son histoire (l’Eclipse), peut-être parce que je suis arrivé trop tard. Mais je dois reconnaître une chose, même si le manga ne provoque pas d’affect particulier en moi (bien que j’ai lâché une belle larme au tome 40), je suis forcé de reconnaître que non seulement, Berserk est un grand manga, mais surtout qu’il s’agit là d’une grande œuvre d’art. Une œuvre qui transcende son média de par son extrême qualité visuelle et narrative. Une œuvre capable de dévoiler une imagination rarement lue sur papier. Bref, une œuvre comme on en voit rarement et qui force le respect et l’admiration.
J’avoue admirer Miura et regretter son décès. Je n’ai jamais vu des planches aussi belles et surtout, si nombreuses. Quand je me remémore mes dernières claques visuelles en bande dessinée, je pense à Bonne Nuit Punpun d’Inio Asano, Blacksad de Juanjo Guardino, ou Akira de Katsuhiro Otomo. Mais dans ces bandes dessinées, seules deux ou trois planches sont restées gravées à jamais dans mon esprit. Dans Berserk, c’est bien une dizaine voir des vingtaines tant la série pullule de véritables œuvres d’arts picturales. Des images aussi bien terrifiantes qu’incroyablement belles.
Car c’est ça aussi la force ultime de Berserk, c’est de parvenir à toucher deux extrêmes en matière de représentation. Il y a l’horreur pure et viscérale qui se dégage de la majorité des planches. Berserk est d’une violence atroce comme j’ai rarement pu en voir, des planches à vous donner la boule au ventre. Et dans cet amas de terreur, quelques planches d’une douceur enivrante et d’un lyrisme flamboyant parviennent à se dégager. Les moments de complicité entre Guts et Casca, les voyages astraux de Schierk, les trois derniers tomes dessinés par Miura qui changent radicalement de ton (c’est notamment dans les deux derniers tomes que les larmes furent les plus difficiles à retenir). Miura est un maître en ce qui concerne l’affect de son lecteur, il sait exactement où il veut l’emmener et ce salopard nous pousse vers des émotions parfois terribles à ressentir, comme extrêmement douces.
Et plus encore qu’une simple histoire d’émotion, Berserk offre un dilemme atroce pour son lecteur avec le personnage de Griffith. Cet atroce salopard qu’on rêve de voir souffrir après l’une des trahisons les plus logiques mais inexcusables que j’ai pu voir.
(l’Eclipse et le viol de Casca purement gratuit) !
Un personnage dont on peut comprendre les agissements, de par sa psychologie et ses objectifs, mais incroyablement détestable par ses choix et son comportement. Un personnage qu’on veut voir échouer, puni par notre anti-héros Guts même si cela n’apportera rien de bon à l’humanité. Voilà le dilemme que propose Miura : peut-on punir le Mal, la Trahison, le viol et la torture psychologique, quand, au final, il peuvent se révéler au service d’un bien commun à l’échelle humaine.
Quant à Guts, encore une fois, l’incroyable malice de Miura a permis de nous offrir un personnage musclé et ténébreux comme on pourrait en trouver mille autres, mais doté d’une histoire et d’un traitement qui ferait pâlir tous les John McClane de l’histoire de la fiction. Je ne pensais pas dire ça, mais Guts est certainement l’un des meilleurs personnages de la fiction tout genre confondu. Tant dans son parcours que par ses tiraillements moraux. Il est une montagne de force fragilisée par une vie qui n’a de cesse de le torturer et de le priver de ce qui pourrait apaiser ses souffrances. Il n’est pas forcément un homme de bien, mais c’est un homme moral écorché, empli de haine pour ses ennemis et empli d’amour pour les quelques personnes auquel il tient. C’est un immense personnage qu’on veut voir réussir à tout prix malgré tous les mauvais choix et les atrocités qu’il peut commettre. La brillante dualité entre Guts et Griffith inverse les rôles standards des héros et anti-héros. Griffith est le héros de l’histoire, celui qui apporte la lumière au monde, tandis que Guts est le héros du spectateur, parce que plus sensible bien que plongé dans les ténèbres de la haine et de la tristesse.
C’est brillant. Tout simplement. Et encore une fois, même si Berserk ne me marquera pas autant qu’un Bonne Nuit Punpun ou un Quartier Lointain (parce que je l’ai découvert sur le tard), je ne peux que reconnaître son immense qualité et sa place au sein de la culture populaire. Malgré ses problèmes de rythme à partir du tome 24, malgré un début pas très convaincant, malgré un comique relief un peu lourd (Puck mais qui devient vraiment cool lorsqu’apparaît Isidoro), c’est une référence. Un must. Un chef d’œuvre.