...Quand tu as fait face à la douleur de l'être humain se déchirant lui-même. Il a été produit par ton cœur glaçant. Voici l'océan tourbillonnant. De cette mer tombent une à une des gouttes de sensation... C'est l'eau qui appelle dans l'autre monde...Dieu ?
Évoquer Berserk ne saurait être fait sans aborder cette douce activité que l'on appelle violence. Car oui, vous qui entrez dans les terres arides que le sol, maculé de sang, ne fait que rendre plus infertile, vous qui pénétrez l'antre de ce Saint Graal ternit de rouge, abandonnez tout espoir. Abandonnez tout car à la fin de cette grotte vous n'aurez plus rien, rien d'autre que la lourde sensation en gorge d'avoir vécu une aventure exceptionnelle, un voyage qui vous aura changé à jamais.
Berserk est violent, très violent. Berserk ne fait pas dans la dentelle comme on dit, non, Berserk vous attrape par les hanches, baisse son froc, renifle dégueulassement, vous crache sur le derche et vous enfile à tout rompre jusqu'à vous laisser un petit goût de merde au fin fond de l’œsophage. Berserk c'est la noirceur, c'est le monstre tapis dans l'ombre qui ne souhaite qu'une chose : vous dévorer l'âme, la violenter et lui faire souffrir mille morts. Berserk c'est la dureté d'un sacrifice, le cheminement d'un sacrifié au malin, un voyage pour tromper la mort, pour renouer avec la vie.
Berserk c'est l'épopée de Guts, anti-héros incorrect mais vaillant. Guts n'est rien lorsqu'il naît du corps sans vie de sa mère. Guts n'est rien jusqu'à ce qu'une troupe de mercenaires recueillissent le bambin près du cadavre pendu de sa génitrice. Guts devient mercenaire à son tour, vivotant, malgré son jeune âge, de combats en combats, de guerres en guerres. Un père de substitution se dessine alors dans ce paysage macabre, Gambino, un être colérique, profondément mauvais, que la simple vue de notre héros suffit à faire sortir de ses gonds. Gambino élève néanmoins l'enfant, le fait devenir homme, respectant à la lettre le mythe de la horde primitive.
Dans tous cela, le destin n'est jamais loin et Guts ne saurait échapper au sien, fusse-t-il des plus sombres. Moult batailles remportés au fil de son épée large, Guts croise la route de la troupe du Faucon, menée d'un cœur d'or par Griffith, un homme dont la beauté n'aura d'égal que la puissance du rêve. Un combat singulier est vite lancé, notre héros perd, devenant alors soldat aux ordres de Griffith. Le rêve du bellâtre est fort alléchant ; gouverner son propre pays et se sortir de toutes les attentes dut à sa basse naissance. D’abord bougon, Guts se prête à rêver, à voir en cet homme un peu de chaleur, un peu d'amour.
Berserk n'est pas seulement une histoire de batailles, de conquêtes, de combats face à des monstres ignobles s'adonnant aux pires horreurs possibles, Berserk nous parle aussi d'amour. Au sein de la troupe du Faucon va finement se dégager un trio amoureux autour de deux hommes et une femme, Casca. Entre affection faussement platonique, déclarations nébuleuses, idéalisation et admiration, Guts se retrouve plongé dans un bain d'émotions diverses, cause de bien des maux.
Sans que l'histoire n'ait à porter de mots clairs sur le sujet, on ne peut que voir de l'amour dans les yeux de Griffith à l'égard de Guts. Il ne s'agit pourtant pas d'un amour commun, celui que l'on rencontre parfois, qu'on laisse filer, non, cet amour est complexe, inavouable, aussi fusionnel que refoulé. Avant tout, ce qui importe à Griffith est que Guts participe à son rêve, qu'il en soit la clef de voûte. Hélas, notre héros n'est pas de ceux que l'on peut aisément enfermer, aussi cherche-t-il sa propre voie, par l'épée.
Sans Guts, sans ce mélange de haine, d'amour, de jalousie, de honte, de dégoût, d'admiration, Griffith se retrouve anéanti, si bien que la séparation causera sa propre destruction, déchaînera les enfers dans un tourbillon maléfique, laissant le destin terminer son oeuvre, tant dans le fracas sacrificiel que l'occulte murmure de la mort.
Bien que me trouvant seulement à l'achèvement du vingt-et-unième tome de la saga, Berserk figure déjà parmi le panthéon de ces histoires qui marquent au fer rouge, de mots qui vous hantent dans les lectures. Berserk incarne entre justesse et effroi, le scénario que j'ai toujours voulu lire, mêlant aussi bien de l'action bourrine, sublimée d'un dessin remarquable, qu'une psychologie poussée, fine, réaliste, bien loin des habituelles mentalités/banalités sur le pouvoir (et j'en passe). Pour ce qui est de ce dernier, Berserk prend le contrepied du chemin où on l'attendrait, faisant de cette quête un bourbier d'apparence pourtant si sublime. Rarement un manga ne m'aura plus secoué que celui-ci, ne m'aura apporté tant d'enjeux, de craintes mais aussi de beaux moments de contemplation, parfois d'humour et d'errance.
Berserk est une épreuve dont vous ressortirez forcément gagnant, assurément différent mais gagnant. Alors lisez-le, relisez-le, suivez Guts, ce dieu tourmenté de la guerre, dans son formidable voyage pour arriver à vivre après une ignoble trahison que je ne saurais vous révéler mais que tous ceux ayant un jour ouvert le treizième tome se souviennent.