Berserk. Rien qu'au titre, on sent que ça promet des tas de choses. De la barbaque, des hectolitres de fluides corporels divers et variés, de la réflexion, de la finesse, des câlins, l'amour de son prochain et j'en passe. On m'avait parlé de ce manga comme d'un des meilleurs seinen jamais écrit, je l'anticipais surtout comme une bonne grosse boucherie. J'avais tort. Enfin en partie.
Attention : ça va spoiler un peu.
En lisant les 2 premiers tomes, je suis frappé par une chose : c'est exactement ce que j'anticipais. Ce manga respecte magistralement dans ses quelques premières pages la règle des 3 C propre à tout "seinen mature" qui se respecte :
Cul, Créatures, Cassage de gueule
Dans un moyen-âge bien glauque, qui sent la crasse, le viol et la vinasse, le héros, Guts, une montagne de muscles pourvue d'un bras mécanique / canon et d'une épée plus grande que lui, traque les créatures démoniaques qui hantent ces terres, dans l'objectif avoué de leur mouler consciencieusement la tronche à l'aide des instruments susmentionnés.
Voilà, ça c'est le début. J'étais un peu intrigué par cet univers très sombre, d'autant que même si les dessins sont assez vieillots, graphiquement, c'est déjà sur le dessus du panier.
La traque de Guts, assez oubliable, l'amène à entrer en possession du Béhélith, étrange pierre grotesque qui aurait le pouvoir de donner aux hommes l'accès à leur désir le plus profond, à la condition de sacrifier quelque chose qui leur est cher. Pacte faustien qui dans les faits, se traduira toujours par une horrible transformation du corps, le rendant plus proche de la part de monstruosité qui l'habitait déjà auparavant.
Arrivé à ce point, l'univers bascule, et nous entraîne vers le passé, à la recherche de réponses.
On l'appelle comme ça pour une raison
L'âge d'or explore le passé de Guts, et les événements qui l'ont amené à devenir le gros tas de muscles sanguinaire, acariâtre et réfractaire aux câlins que l'on a appris à apprécier pendant les tomes précédents.
De son enfance difficile (euphémisme) à son entrée dans la troupe de mercenaires du Faucon, dirigée par le blond Griffith, son antithèse, un monstre de charisme et d'ambition, Guts va peu à peu faire ses preuves et devenir un meneur d'homme, charismatique par sa force brute et sa puissance inégalée au combat.
Comme de bien entendu, sa relation avec Griffith, entre camaraderie, amour et respect mutuel va être le moteur qui va les amener à se surpasser et à emmener leur troupe au sommet de la gloire. Mais comme de bien entendu, une fois arrivé au sommet, le conflit va naître :
- Griffith veut le monde, rien de moins, et il a besoin de Guts pour
cela.
- Guts, quant à lui, est un vagabond dans l'âme : inspiré par
Griffith à poursuivre sa propre voie, il va se séparer de la troupe
pour découvrir qui il est réellement, de la seule manière qu'il
connaisse, par le combat.
L'âge d'or, c'est tout ce qu'on peut attendre d'une fresque épique : la gloire, la camaraderie, l'héroïsme, les abysses de l'ambition humaine, sublimés par le trait de Miura, qui s'affine et gagne en maturité tout au long de son œuvre. Berserk explore aussi l'amour de manière très juste, avec le personnage de Casca, tiraillée entre son admiration sans bornes pour Griffith et des sentiments qu'elle ne s'explique pas pour cette grosse brute de Guts.
Et comme de bien entendu (oui je l'utilise beaucoup) dans un univers aussi sombre, une telle histoire ne pourra pas bien se terminer. Promis, c'est le dernier spoil que je fais. Mais accrochez vos tripes, la chute sera brutale.
A la lecture de cette partie, j'ai été frappé par une évidence qui me taraudait un peu depuis que j'avais commencé : Berserk est dense. Dense comme une boule de plomb dans le creux de ton bide. Je ne prétends pas avoir pu saisir l'ensemble des thèmes qu'il aborde après une première lecture, mais d'instinct, je peux dire ceci.
Il tape à beaucoup d'endroits et en général, il tape en dessous de la ceinture. Il est magnifiquement construit, rythmé, et c'est sans doute l'un des mangas les mieux dessinés que j'ai vu.
Dur retour à la réalité
Autant vous dire qu'à la fin de l'âge d'or, j'étais vraiment emballé. Le retour à la réalité nous fait retrouver ce Guts implacable et sanguinaire, mais sous un jour nouveau, qui explique les origines de sa rage et le moindre petit détail de son comportement depuis le début. Les bases sont jetées pour quelque chose de grandiose.
Dans les arcs suivants, on suit un Guts tourmenté et vengeur déambuler dans un monde en proie au chaos, à la folie et à la corruption, pourchassé par l'Eglise qui ne voit en lui qu'un boucher démoniaque.
Outre un traitement de la religion assez intéressant, qui, s'il emprunte de manière pas très subtile à l'inquisition et la chasse aux sorcières, parvient à garder une part d'ambiguïté, cet arc est aussi l'occasion de voir s'agglutiner autour du chevalier noir une petite troupe de compagnons et de commencer à le remettre en perspective : jusqu'à quand peut-il affronter l'horreur et protéger les faibles sans devenir à son tour un monstre ?
Graphiquement, c'est le summum. L'univers de Miura foisonne de détails, chacun de ses traits provoque une émotion, qui le dégoût, qui le respect, qui l'admiration.
Et passé le tome 21, l'évolution du manga me laisse assez perplexe.
Voici venu le temps des rires et des chants
Auparavant, Miura parvenait sans mal à trouver un équilibre entre violence, histoire, ambiance et traitement des personnages. A partir du tome 22, Berserk opère un changement d'ambiance étrange : il s'oriente vers de la fantasy plus classique.
Restons d'accord : ça viole encore un petit peu, les monstres sont toujours absolument dégueulasses, et il y a toujours des hectolitres de sang versé à l'occasion, mais le manga ne semble plus vouloir se contenter de l'aspect mystique et inexpliqué des débuts. Tout parait désormais forcé.
- Les compagnons de Guts : je ne suis pas contre, loin de là, je suis persuadé que Guts n'est pas si antisocial qu'il en a l'air. Mais leur traitement est clairement à la ramasse : Puck, la petite fée qui accompagnait Guts depuis le début et servait de pont entre le spectateur et un Guts terrifiant, n'a ici plus qu'un seul rôle : faire des imitations moisies de Doraemon. Je passerais sur Isidro, assez insupportable dans le genre gamin / élément comique, et sur Schierke, plutôt quelconque.
- L'apparition d'un fantastique décomplexé : fini le temps où la force brute et une détermination inhumaine (ainsi qu'un bras canon, ça aide un peu) suffisaient à venir à bout des pires immondices de la création : place aux objets magiques, aux armures vivantes, au folklore obligatoire pour toute œuvre de fantasy qui se respecte et j'en passe. Pour le moins incongru : avait-on vraiment besoin d'une armure magique et d'une sorcière pour mettre en scène la lutte de Guts contre ses démons intérieurs ?
J'aime d'autant moins cette armure qu'elle semble enfermer le manga dans un schéma : monstre horrible > utilisation de l'armure > victoire > perte de contrôle > regain de contrôle.
Globalement, Berserk souffre aussi maintenant de plusieurs longueurs et redites qui le rendent assez indigeste à lire, surtout au format épisodique qui est le sien.
Je n'irais pas jusqu'à dire que l'auteur perd le fil de son histoire, car il semble clairement savoir où il va, de manière générale.
des passages de génie comme le duel entre l'empereur Kushan et Griffith, et la réincarnation de l'empereur ou la création de Falconia m'amènent à le penser. Dommage que l'empereur ne soit pas plus développé par ailleurs.
En revanche, je suis persuadé que l'histoire ne nécessitait pas de nombreuses digressions dont je peine encore à saisir l'intérêt (les trolls et le dieu des mers, sérieux ?). D'autant que de mon point de vue, les combats ne sont pas le point fort de Berserk.
Aussi paradoxal que ça puisse paraître pour un manga dont le protagoniste est né pour la Bagarre, je les trouve la plupart du temps, surtout vers la fin, assez fouillis, souffrant du souci du détail de l'auteur, et souvent peu intéressants car résolus d'un grand coup d'épée dans la margoulette.
De plus, il me semble que Miura s'est aventuré sur un terrain qu'il ne maîtrise pas très bien : la légèreté qu'il tente d'insuffler à son œuvre pour dédramatiser certains passages a l'air forcée et plusieurs personnages, sur-simplifiés pour l'effet comique, jurent avec le reste de l’œuvre. Et en affaiblissent d'autant l'effet.
En résumé
Berserk est un très bon manga. En tout cas au début.
Si vous aimez les ambiances glauques et les tragédies, sa première moitié vous prendra aux tripes et ne vous lâchera pas. Ne vous arrêtez pas aux premières impressions, sous la couche de violence qui peut sembler gratuite se cache une œuvre d'une profondeur rarement atteinte.
En revanche, si vous avez accroché à la première partie, attendez-vous à un changement d'ambiance sur la suite, et à un rythme moins bien maîtrisé et plus fastidieux.
Quoi qu'il en soit, jetez-y donc un coup d'oeil, ne serait-ce que pour voir à l’œuvre l'un des meilleurs protagonistes du genre, et l'un des dessins les plus riches et les plus détaillés que vous aurez l'occasion de voir à l'oeuvre dans un manga.